[#2] LUMIÈRE 2017: PROJECTIONS | KARINA | FRIEDKIN

Au menu de notre second récit de notre escapade au Festival Lumière 2017 : les master class d’Anna Karina et du cinéaste William Friedkin, ainsi que quelques projections croustillantes. 

A Lyon, les cinéphiles ont cette chance de rencontrer les plus grands noms du cinéma international. Pour nos trois premiers jours, nous avons été gâtés: Michael Mann, Guillermo Del Toro, Nicolas Winding Refn et quelques mots de Tilda Swinton, Alfonso Cuaron et côté français de Christopher Lambert ou encore Bertrand Tavernier. C’est aussi l’occasion, n’oublions pas, de (re)découvrir des grands classiques du cinéma (souvent en copie restaurée avec une présentation d’un(e) invité(e) du festival). Et chez The Bergerie, nous nous sommes pas privés de s’installer dans quelques salles dispersées un peu partout dans la Cité des Lumières pour assister à quelques projections.

Outre le choc de Heat, présenté en version restaurée 4K à l’Auditorium, l’autre grosse impression cinématographique de ce début de festival fut Le Salaire de la Peur, le chef-d’oeuvre de Henri George Clouzot. Réadapté en 1977 au cinéma par William Friedkin – dont nous allons parler plus bas – sous le nom du Convoi de la Peur (Sorcerer en version originale), ce grand classique du cinéma français, porté par un Yves Montand en pleine forme, incarne toutes les notions de tension et de suspense au cinéma et ce pendant plus de deux heures et demie – sans oublier ce noir et blanc magnifié par la restauration en 4K dont il a fait l’objet. Impossible d’en ressortir indemne.

Une sélection de classiques en tous genres qui nous ont donné envie d’aller voir du côté du cinéma d’animation. Et la France réserve quelques surprises depuis le tournant Kirikousorti en 1998. Et l’un des premiers films à avoir exploité cette postérité exceptionnelle fut La Prophétie des Grenouilles (2003), réalisé par Jacques-Rémy Girerd, venu spécialement présenté cette sorte de réinterprétation du mythe de Noé. Devant un auditoire très majoritairement composé d’enfants âgés de 6 à 8 ans – la mignonnerie incarnée -, un film au fort potentiel politique et qui transpire l’harmonie du vivre-ensemble. Oui, avant Ma Vie de Courgette, il y avait La Prophétie de Grenouille. 

Et puisque notre voyage à travers Lyon fait mélanger les registres – et on vous prévient, la transition est très rude -, quoi de mieux qu’un film de William Friedkin infiltré dans les bars gays sado-masochistes au coeur des bas fonds de New York ? Intitulé La Chasse (Cruising en version originale), le film excelle dans le registre policier et se transforme progressivement en un duel hitchcockien dans lequel Al Pacino, dans le rôle principal, fait éclabousser ses talents. Et enfin, pour poursuivre une certaine idée totale du cinéma, le King Kong de 1933 réalisé par Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack : majestueux, avant-gardiste et d’une chaleur étonnante ; une oeuvre majeure dans l’histoire du cinéma que Michel Lebris, écrivain français spécialiste du Gorille de Skull Island, est venu introduire avec un vocabulaire enthousiaste.

« Jean-Luc Godard aimait tout ce qui était con » – Anna Karina

Actrice et chanteuse franco-danoise, Anna Karina est surtout connue pour avoir été l’égérie de la Nouvelle Vague. Passée chez Chris Marker, Jacques Rivette et même Luchino Visconti – « un vrai papa sur le tournage » – et Fassbinder – « il était spécial et un peu pervers » – Anna Karina est aussi et surtout l’une des actrices chéries de Jean-Luc Godard et pour lequel elle a tourné pas moins de sept films – dont les intemporels Pierrot le fou, Une Femme est une femme ou Le Petit Soldat (sa toute première collaboration avec JLG). C’était donc une évidence pour elle de parler de celui qui était également son ancien mari : « Je devais faire ce qu’il me disait de faire. Nous avions nos textes au dernier moment sur le tournage, et je peux vous dire que rien n’était improvisé.«  Balançant plusieurs anecdotes croustillantes à propos de Jean-Luc Godard, elle le décrit comme un metteur en scène « minutieux » et au style « très écrit ». « J’aime tous ses films », lance-t-elle. En dehors des plateaux de cinéma, quelques images amusantes du cinéaste suisse : « Jean-Luc était quelqu’un de sportif, de très sportif ! Il courait partout, faisait des saut périlleux… […] Il aimait tout ce qui était con !« .

Et l’anecdote la plus touchante, la plus drôle aussi, est celle d’un dîner à Genève ; assise à côté de son ancien compagnon, Anna Karina est également devant Jean-Luc Godard : « Je sentais quelque chose sous la table. Je m’interroge, et mon compagnon aussi, il savait très bien que quelque chose n’allait pas. C’est Jean-Luc qui m’a transmis un bout de papier. Je me suis isolé pour le lire, et je lis « Je vous aime ! Rendez-vous à minuit au Café de la paix, à Genève. » Mon conjoint me rejoint, lit le bout de papier et me demande de ne pas y aller. Quelques heures plus tard, j’étais à Genève. C’est comme ça que tout a commencé avec Jean-Luc. »

« J’étais folle de joie de faire « Une Femme est une femme », et très impressionnée par les premiers jours de tournage. C’est Belmondo qui m’a rassurée. »

Pour le Festival Lumière, l’actrice aujourd’hui âgée de 77 ans se remémore également son passé en tant que cinéaste puisqu’elle est venue présenter à l’Institut Lumière ce jeudi 19 octobre son (seul) film : Vivre Ensemble, réalisé en 1973. « J’ai voulu faire ce film avec mes propres économies, car je gagnais pas mal de sous. J’ai préparé le rôle principal exprès pour Jean-Louis Trintignant. » Une master class placée sous le signe de la nostalgie, mais aussi de la légèreté de l’actrice que l’on sentait très heureuse devant un public complètement tombée sous son charme. D’où cette intervention d’une dame qui, micro en main, très émue, remercie l’actrice pour sa présence à la Comédie Odéon. Repartie sous les applaudissements chaleureux de la salle, Anna Karina s’est aussitôt déplacée le lendemain pour présenter Une Femme est une femme, également projeté en version restaurée expressément pour le festival. Et sa présentation, au même titre que le film, fut un aussi beau moment.

La master class exceptionnelle de William Friedkin

Honnêtement, nous avons encore du mal à nous en remettre. Dans l’après-midi du même jeudi 19 octobre, la Comédie Odéon a donné lieu au show de William Friedkin, le réalisateur des on ne peut plus légendaires The ExorcistSorcerer et surtout French Connection pour lequel il a remporté l’Oscar du meilleur réalisateur. Connu pour son franc-parler et son dandynisme purement américain, le réalisateur ne s’assoit pas derrière une table, et préfère rester debout devant l’audience, obligeant la traductrice et le journaliste qui l’accompagnent à rester sur leurs jambes. « Je comprends pourquoi la ville de Lyon est ici la maison des cinéphiles, ils sont chez eux. Je n’ai jamais vu quelque chose comme tel aux Etats-Unis, ni ailleurs dans le monde. », lance-t-il au public avant même que les premières questions ne soient posées.

Du haut de ses 82 ans, Friedkin offre une prestation ultra-chaleureuse, pleine de sensibilité et que l’on pourrait résumer en deux temps. Le premier serait lorsqu’il parle de son enfance, et sa découverte du cinéma : « Etant jeune, je foutais le bordel dans mon lycée, et le cinéma n’était pour moi qu’un divertissement. Et lorsque j’avais 20 ou 21 ans, un ami m’emmène voir « Citizen Kane » à Chicago. En sortant, je ne savais pas trop ce que je venais de voir, mais j’ai su à cet instant que c’est ce que je voulais faire. » Comme beaucoup d’autres cinéastes, le film d’Orson Welles donna envie à Friedkin de se lancer dans l’audiovisuel : « Mes premiers pas fut à la télévision, et je pouvais gravir les échelons, contrairement à maintenant. J’appréciais la dimension collaborative de mes tâches, et c’est finalement comme le cinéma. »

« En tant que cinéaste, vous devez croire en tous les possibles. Quand j’ai fait « The Exorcist », je me suis positionné comme un croyant. Non pas envers la religion, mais tout ce qui nous entoure. »

L’autre temps fort de cette master class fut justement les premiers pas du monsieur au cinéma, et particulièrement son tout premier film : un documentaire intitulé The People vs Paul Crump dont la conception est tout simplement incroyable. « Je déteste faire la fête avec ces conversations superficielles, vous savez quel effet ça fait. Mais j’étais sur ce bateau un soir, et je rencontre un prêtre qui me dit qu’il travaille dans une prison pour parler avec des détenus condamnés à mort (le tristement célèbre Couloir de la Mort aux Etats-Unis, ndlr). Il me parle d’un prisonnier qui se confesse beaucoup et dont il est persuadé de son innocence. » Ainsi, William Friedkin décide de sauver la vie de ce prisonnier en réalisant ce film. Résultat des courses : Paul Crump est libéré. « C’est ainsi que j’ai pris conscience de la puissance du cinéma. » Outre cette histoire heureuse, Friedkin nous détaille comment il a préparé ce film et son sujet sensible. Dans un silence de cathédrale, Friedkin, visage marqué, évoque avoir assisté à une de ces exécutions à la chaise électrique. S’arrêtant parfois pour reprendre son souffle, il évoque que les plusieurs détails qu’il a remarqués au cours de cette exécution le « marqueront à jamais. »

Des récits très sensibles qui ont visiblement marqué les différentes postures de cinéma qu’il a adoptées au cours de sa carrière. « A chaque fois que je conçois un film, j’essaye toujours de me demander comment les choses fonctionnent (« how things works »). Je veux donner le mode d’emploi de quelque chose. Mon premier film parle donc du fonctionnement de la chaise électrique. » Il poursuit sur une vision bien marquée de la fameuse fiction-documentaire : « Je me souviens de ce film de Costa-Gavras, « Z », qui m’a grandement influencé. » Après avoir cité plusieurs noms de films qui ont marqué l’histoire du cinéma (Naissance d’un Nation ou encore A bout de souffle) et avoué son amour pour Les Chariots de Feu de Hugh Hudson (présent dans la salle), il résume son expérience sur le tournage de L’Exorciste en citant le Hamlet de Shakespeare : « Il existe plus de choses sur la Terre que ce que votre philosophie peut rêver. » Ce qui est sûr, une fois la master class terminée, c’est qu’il n’existe bel et bien qu’un seul William Friedkin. Le seul, l’unique.

Rendez-vous lundi pour notre conclusion du Festival Lumière 2017 !