JUSTICE LEAGUE – S’UNIR DANS LE VIDE [CRITIQUE]

Le premier rassemblement des super-héros de DC devait sauver un univers cinématographique déjà fragilisé par le passé. Justice League n’y parvient pas et pose les premières limites du genre super-héroïque… 

Suite au visionnage de Justice League, trois questions se posent. La première concerne l’identité fragmentée du DC Extended Universe, connu jusqu’à présent pour nous avoir offert les immondes Suicide Squad et Dawn of Justice, puis cette année l’ultra-plaidoyer féministe Wonder Woman. La seconde reste la nature de ce nouveau chapitre, autant dans sa conception chaotique (reshoot coûteux, retrait imprévu de Zack Snyder, arrivée de Joss Whedon…) que pour sa pauvre neutralité en termes de création. Et il faut croire que la médiocrité des réponses qu’il faut donner aux deux premières questions incite à poser la troisième, prédominante pour dégager une vue d’ensemble du film : qu’en est-il du genre super-héroïque ? Oui, Justice League est non seulement la nouvelle preuve que l’univers déployé depuis Man of Steel (2013) n’est qu’une vaste fumisterie créative, mais aussi le premier vrai signal d’alerte d’un âge d’or qui, comme les autres auparavant, connaît maintenant ses premières faiblesses.

La question n’est pas vraiment de savoir si le genre, avec Justice League, est en déclin. Ce genre de questionnement un peu trop hâtif voile les diverses prises de risques du film de super-héros : le compromis teenage du retour de l’homme araignée cet été chez Marvel, et même – osons le dire – la recherche un peu trop obsessionnelle d’une divinité dans le boucan formel de Dawn of Justice peuvent donner du crédit. L’effet de rétrospection est une caractéristique du genre, sauf que les différentes gammes du DCEU peinent à s’y atteler tant la précipitation est l’une des leurs (pauvres) marques de fabrique – au fond, les twists, ça put. Et l’un des grands coupables de cette mascarade est Zack Snyder, trop préoccupé par ses visuels tape-à-l’œil et ses morales complaisantes. Or, Justice League offre une rigueur formelle rassurante, agréable à l’œil et aidé par un montage plutôt fluide. Sans nul doute que l’implication – qu’elle est-elle réellement ? – de Joss Whedon dans le projet a pu apporter un soupçon d’élan créatif et (trop ?) populaire qui, aussi et malheureusement pour lui, condense toutes les limites du genre.

Si le film peine à montrer ses muscles, c’est qu’il n’en a pas, ou très peu. Pas d’inquiétudes, Justice League ne pourra jamais rivaliser avec les autres rassemblements du team Marvel et ce pour plusieurs raisons. Entre son humour bien trop systématique et un scénario calibré à l’extrême pour se prétendre comme tout le monde – mais où est l’ambition ? -, cette véritable farce s’enfonce progressivement dans la gêne et l’incompréhension. Et c’est là tout le manque de sens qui encadre le team DC présenté dans le film. Au-delà des comparaisons elles aussi trop systématiques avec les précédentes créations made in Marvel, Justice League n’incarne à aucun moment chacun de ses personnages, et donc leur groupe. Voilà un film qui porte très mal son nom, sans parler de la musique ultra-racoleuse de Danny Elfman, prêtant par intermittence les anciens (mais toujours actuels) thèmes de Batman et Superman, les deux boss de cette ligue – voilà une limite en termes d’idée… Ici, l’unité ne fait pas la force, et ce n’est même pas la peine de se hâter pour parler d’un tel ou d’un tel. Rien n’est intéressant, et les raisons de cette faillite sont l’écriture et la réalisation.

A l’image du suicide collectif du très bien nommé Suicide Squad et de l’argument marketing de Dawn of Justice, cette nouvelle ébauche de DC force le trait à travers une linéarité de mise en scène bien trop limitée techniquement parlant pour se paraître indispensable : bouillie numérique, dialogues plombant, ambiance sonore absolument inexistante… Si les super-héros ne sont plus capables de provoquer de l’altérité avec l’objet cinéma, et même avec leur propre alter-ego – Bruce Wayne et Diana passent pour des intrus dans le film –, quelles seront leurs histoires prochaines ? Inconsciemment, DC s’enfonce et entraîne le genre dans son entreprise de démolition créative. Si l’heure est maintenant venue de dire que la sortie de Infinity War – le mega mashup de Marvel prévu pour l’an prochain – peut provoquer autant d’effroi que d’estimation, c’est aussi parce que Justice League se positionne comme la prémisse d’une défiguration narrative et créative non seulement au sein-même de son propre univers (même si les visuels de Snyder ne manquent pas, ils n’existent plus), mais aussi dans la conceptualisation proprement cinématographique du genre.

Quid de l’antagonisme ? Des décors, majoritairement composés en fond vert ? De la prestation des acteurs – l’insupportable Gal Gadot ? Décidément, Justice League est tout le néant que peut provoquer le genre. Et incontestablement, Justice League est le pire film de super-héros jamais réalisé et ce depuis le lancement du genre avec les X-Men et Spider-Man, eux qui sont arrivés au début des années 2000 : ça fait vingt ans que ça dure… Et celui-ci affiche ses premières limites. DC est inexistant, vain, sans intérêt. Et la question finale va déchaîner les passions pour sa double connotation : quand est-ce que ça va s’arrêter ?