BLADE RUNNER 2049 – LA SUITE MIRACLE [CRITIQUE]

C’est l’un des films les plus attendus de l’année : Blade Runner 2049 est un tour de force de science-fiction, romantique et cauchemardesque, mené de main de maître par un Denis Villeneuve une nouvelle fois au sommet. 

Si Blade Runner 2049 apparaît comme la suite on ne peut plus osée du film de 1982 – ce divin mélange de dark science-fiction avec les codes du film noir –, il demeure avant tout, et une fois sorti de la salle, comme le nouveau film de Denis Villeneuve. Le réalisateur québécois, à qui nous devons les tours de forces publics et critiques Premier Contact et Prisoners – sans oublier Enemy, à ce jour son meilleur film –,  se livre pour la première fois. Non seulement envers les fans hostiles à l’idée de poursuivre l’œuvre de Ridley Scott, mais aussi dans sa propre conception de la science-fiction à travers les thèmes qui parcourent sa filmographie : la famille, les souvenirs et la crise d’identité. C’est simple : d’un côté, un véritable mythe de science-fiction presque intouchable tant sa pérennité philo-esthétique aura marqué le genre ; et de l’autre, un cinéaste en pleine possession de ses moyens et, disons-le, indispensable pour le cinéma contemporain.

Et c’est peu dire que le cinéaste comprend ces enjeux qui se sont posés face à lui et dont il a su s’écarter pour produire, à ses yeux, ce qui constitue une suite logique (et donc possible). C’est peu dire, car Villeneuve n’exerce pas dans le consensuel : il fait dans l’incarnation. Tout ce qu’il filme, tout ce qu’il cadre est voué à (ré)incarner l’univers, et ce paradoxalement dans un monde abattu et platonique, poussiéreux et grippé. Le monde tel que nous le montre le film est un véritable cauchemar ; où l’ombre de la dualité homme/machine paraît finalement plus importante que jamais. C’est donc le reflet de cette frontière entre l’artificiel et l’organique qui possède non seulement la mise en scène de Denis Villeneuve, mais aussi tout l’univers qu’il a hérité des mains de Ridley Scott – toujours impliqué, puisqu’il est à la production. Blade Runner 2049 est une œuvre malade, où la question de l’existentialisme trouve des ressorts dramatiques absolument bouleversants.

Rarement obnubilé par le film de 1982, cette nouvelle poésie visuelle vaut le coup d’œil pour son regard mélancolique, oui, sur son propre univers, mais aussi et surtout sur le personnage campé par Ryan Gosling. L’acteur joue ici le rôle de sa vie et n’a jamais aussi bien performé depuis ses rôles dans les films de Nicolas Winding Refn. Denis Villeneuve prouve une fois encore son talent pour diriger les interprètes et les concentrer vers un rôle type (pour mieux fabriquer des duos de cinéma), et c’est ici une recette infaillible pour plonger le spectateur dans la tourmente existentielle qui s’ensuit. Prénommé K (en hommage à l’écrivain Philip K. Dick), le personnage est constamment épris par son ambivalence émotionnelle, qu’elle soit d’ordre amoureuse – il est amoureux d’un hologramme sexy – ou nostalgique – la recherche d’une enfance perdue, et des fameux souvenirs. De cette quête d’identité, comme si souvent chez Villeneuve (et on ne vous révèle rien), une prestation épidermique, d’abord, et une forte portée cinématographique. Cette introspection est la preuve d’une certaine angoisse,  d’où la succession de visages possédés (Jared Leto) ou dénaturés (Harrison Ford). La question de l’identité, venue d’un temps quelconque,  devient alors centrale, stimule le film, les protagonistes, et le spectateur. Un vrai joyau romantique, qui rappelle parfois le retour inexistentielle de Twin Peaks (toujours cette année).

Autant dire que Ryan Gosling et l’infiltration villeneuvienne dans l’univers Blade Runner reflètent ces bases vouées à l’excroissance et pour lesquelles nous nous déplaçons au cinéma. A ajouter ceci dit, car il y a toujours quelque chose à puiser chez Villeneuve : les inspirations du metteur en scène, parsemées de réflexes kubrickiens (la trame sous-jacente, l’identité monolithique) et d’une maîtrise du cadre qui ferait rougir quelques orfèvres de l’image (Fincher en tête). En somme, Blade Runner 2049 demeure du début à la fin une vraie expérience de cinéma, complètement hypnotique et d’une rareté établie. Dans sa quête des paradis perdus (à la fois personnelle et sociétale), tel un sommet de contre-utopie qui tend vers le romantisme, le film ne cesse de s’explorer : que ce soit à travers une infinité de décors, une colorimétrie débordante et des plans d’une richesse absolue – Villeneuve reste un amoureux du paysage et des arts décoratifs.

N’ayons pas peur des mots à la suite de cette projection : Blade Runner 2049 reste dans la tradition du second volet et sa faculté à être meilleur que le film précédent. Et toujours dans cette après-séance qui permet de réfléchir davantage ce qui a été vu (et vécu), nous nous rappelons cette réplique citée dès le début du film : « Parce que nous n’avez jamais vu un miracle de vos propres yeux ». Et il se pourrait bien que Denis Villeneuve ait réussit à nous montrer un miracle. Et celui-ci, d’ordre mélancolique et cauchemardesque, nécessitera du temps pour qu’on l’accueille comme une pièce maîtresse de la science-fiction moderne. Et du temps, il en est question dans Blade Runner 2049, fable visuel sur ce manque de souvenirs qui nous mène à pourchasser les rêves les plus fous et, plus que tout, notre humanité passée et future.