SUN KIL MOON & JESU: BONJOUR MÉLANCOLIE

Qui dit nouvelle année dit nouvel exploit pour Sun Kil Moon: un album dense et inestimable, réalisé en collaboration avec Jesu, chef d’orchestre mystérieux du duo britannique Godflesh.

Mark Kozelek n’en est pas à son coup d’essai. Originaire de San Francisco, ce digne représentant de la vague post-grunge américaine des années 90 a su marquer les esprits des amoureux de musique folk à maintes reprises. C’est tout d’abord en tant que tête pensante du groupe Red House Painters qu’il s’illustre et impose sa patte, grâce à un organe vocal d’une gravité impressionnante, le dotant d’un ton monocorde reconnaissable entre mille. Conteur d’histoires à la personnalité froide et antipathique, il donne du sens aux mots autour de bribes de vie hautement personnelles, tout en abimant de ses constats un rêve américain alors déjà bien émoussé.

Mark Kozelek

Compositeur hyperactif, il est l’auteur de dizaines d’albums en solo, tantôt studio, tantôt live, et vit son heure de gloire en 2014 avec Benji, acclamé par toute la communauté indie et défendu comme chef-d’œuvre par l’illustre site Pitchfork. Une toute nouvelle popularité qui lui offrira notamment l’occasion d’un accrochage très médiatisé – et jubilatoire – avec le groupe de Philadelphie The War on Drugs, auquel il dédie un titre incendiaire à la suite d’un petit incident survenu à l’Ottawa Folk Festival la même année (pour une simple histoire de volume entre les deux scènes de l’événement).

En 2015 sort le complexe (et mésestimé) Universal Themes, écrit dans le cadre paisible des Alpes à Flims, bourgade suisse dans laquelle il composa également une partie de la bande originale du très réussi Youth de Paolo Sorrentino, qui lui vaudra d’ailleurs un caméo tout en poésie.

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S’il glane généralement du côté de ses dieux Led Zeppelin, Neil Young et Simon and Garfunkel, l’empreinte de Jesu (Justin Broadrick) fait de cet opus commun un ajout tout à fait inédit à la longue discographie de Mark Kozelek. Mixture dense d’influences, on y retrouve le discours lancinant et caverneux de Sun Kil Moon sur des instrumentales abrasives puisant aussi bien du côté du métal industriel que de l’electronica, du shoegaze ou de l’ambient. Au-delà de ces surprises bienvenues, certaines pistes restent dominées par la guitare classique, telle que Fragile (consacrée au décès de Chris Squire de YES) ou Father’s Day, titres dans la veine mélancolique habituelle de l’artiste.

Un morceau en particulier se détache de cet album tout en contrastes: la déchirante ballade Exodus, véritable confession de près de dix minutes dédiée au plus grand des malheurs, la perte d’un enfant. La voix sombre et hantée du songwriter est pour l’occasion accompagnée des chœurs de Mimi Parker et Alan Sparhawk (Low), de Rachel Goswell (Slowdive) ou encore d’Isaac Brock (Modest Mouse) dans un final céleste qui n’est pas sans rappeler les hymnes séraphiques de Bon Iver. Le musicien y évoque la terrible nouvelle du décès du fils de Nick Cave, survenu en juillet dernier, tout en rendant hommage à Danielle Steel et Mike Tyson, et à leurs cauchemars respectifs. Briseur de mythes, Sun Kil Moon y démontre une fois de plus sa capacité à transmettre tendresse et compassion dans un phrasé intemporel, en évoquant en outre Carissa, cousine disparue à laquelle il rendait déjà hommage avec émotion dans un titre grandiose de Benji.

L’album Jesu/Sun Kil Moon est sorti fin janvier via Rough Trade et Caldo Verde Records, le label de Mark Kozelek. Diffusé en streaming gratuit sur le site officiel de ce dernier, il est aussi disponible sur Spotify. Une tournée mondiale de six dates amènera la paire à Paris le 22 février, dans le cadre d’un concert absolument unique au Divan du Monde en compagnie de Steve Shelley, batteur des titans Sonic Youth.