LA BELLE ET LA BÊTE – L’EGO TRIP DE DISNEY [CRITIQUE]

Après Cendrillon et Le Livre de la Jungle, Disney nous offre une nouvelle adaptation en prises de vue réelles de ses meilleurs dessins animés avec La Belle et la Bête. Un regard dans le miroir au nom de l’ennui et du désarroi.  

Parmi les contes les plus connus du grand public, La Belle et la Bête est peut-être celui qui a été le plus adapté sur grand écran, de la vision ultra-romantique – et mythique – de Jean Cocteau en 1946 jusqu’à l’effrayante réalisation de Christophe Gans en 2014, en passant par le dessin animé connu de tous sorti au début des années 90. Avec cette nouvelle offre réalisée par Bill Condon (la saga Twilight), Disney continue son entreprise d’adaptation en « live » de ses meilleurs oeuvres animées. En attendant les mises à jours dont seront soumis Aladdin et Le Roi Lion, l’heure est venue de parler, entre autres, du destin de la jeune Belle (Emma Watson) et de son amour impossible pour un prince charmant déchu de son humanité (Dan Stevens). Vous connaissez déjà l’histoire et vous n’avez pas besoin qu’on vous la répète ? Ne vous en faites pas, cette histoire n’est que le miroir grandiloquent d’une société de production totalement éprise par son imaginaire dont les doux rêves qu’il véhicule se retrouvent complètement empêtrés dans une vaste industrie de désinformation picturale au titre d’on ne sait quel trait émotionnel.

L’ennui. Voilà comment traduire cette énième adaptation du conte, lequel se porte beaucoup mieux lorsque, pourquoi pas, les thèmes de la monstruosité et du romantisme s’entrecroisent dans un contexte ou les mœurs de la société sont au plus bas dans l’échelle de l’humanité. Le film de Bill Condon – que nous n’oublierons malheureusement pas pour avoir réalisé l’une des sagas les plus grotesques du début du XXIème siècle – ne prend jamais en conscience cette perspective, puisqu’elle est complètement réduite par une béatitude grotesque : présage d’un dynamisme illusoire que la caméra n’arrive jamais à produire. Jusqu’à même s’interroger de l’utilité d’un tel projet, Le Belle et la Bête reproduit coûte que coûte l’imaginaire du dessin animé, ne provoquant jamais de contre-pied esthétique, y compris dans les (nombreux) effets visuels. Plus qu’un déjà vu, ce projet à mi-chemin entre la comédie musicale et l’hommage n’a d’argument que sa redondance absolue. Puisque l’objectif est aussi de marquer une toute nouvelle génération de spectateurs – dont la saga Star Wars n’y est pas étrangère -, Disney se préoccupe davantage de sa satisfaction et du moral de ses troupes, du réalisateur jusqu’aux scénaristes, pourtant totalement absents, sans oublier les acteurs, d’un carence aussi rare que cette stratégie d’adaptation.

Moins tape à l’œil que le projet totalement inachevé de Christophe Gans, le film de Bill Condon propose un immobilisme assez déconcertant dans l’évolution des personnages et notamment dans la relation entre nos deux tourtereaux, évidemment centrale pour quiconque voudrait s’attaquer à ce conte. Abandonnant l’idée du moindre regard ou de séquences purement solennelles, le film fait le choix de la musique et de l’anecdote rigolote. Face à une telle simplicité d’écriture visuelle et lyrique, difficile de percevoir toute la proportion romantique des personnages et de leur altérité. Seule l’étonnante reproduction du château, jouant un vrai rôle dans le film, parvient à faire résonner toute la dimension poétique que génère une telle relation, jusqu’à même l’influencer. Or, l’enjeu n’est pas de tomber amoureux d’un décor ou d’un costume, mais d’âmes de plus en plus vivantes au moment où l’amour les saisit. Difficile en effet de comprendre une Emma Watson qui, visiblement, n’a pas encore le talent nécessaire pour se produire dans un premier rôle. Quant au visuel du monstre qui, à chaque adaptation, mérite son lot de jugements : circulez, il n’y a rien à voir. Les partis pris sont injustifié et brouillons.

Aussi vite ramener sur le devant de la scène des histoires qui, par leur voie animée, ont marqué l’histoire de la franchise, ça remet en question non seulement la véritable stratégie de Disney, mais interroge aussi la place du spectateur dans un tel marasme cinématographique. Plus qu’une question de défis artistiques auxquels le film ne répond jamais, l’essence du projet est le miroir d’une intention étrange que Disney tente de voiler par les caresses, répétées donc, à son spectateur. Passer de l’animation aux prises de vues réelles constitue un défi majeur dans l’esthétique cinématographique,  comme ce fut le cas pour les effets spéciaux dans Le Livre de la Jungle ou du symbole princier dans Cendrillon. Ici, tout tourne autour d’un respect évident, mais d’un manque cruel d’énergie dans les intentions de mise en scène avec, pour preuve, un dernier plan subliminal qui en dit long sur le désarroi productif du film. Le manque de surprise qui commence à prendre le dessus sur les lois de l’attraction au cinéma commence à devenir une véritable constituante esthétique des films, et Disney, notamment avec Le Réveil de la Force et son Marvel Cinematic Universe, voit ici l’opportunité de produire un art du profit au détriment d’un art du sensible. Ce cercle vicieux commence à se généraliser et tout cela sous la provocation d’un regard naïf.

Disney sabote ici l’ambition même d’une oeuvre dans ses valeurs esthétiques et émotionnelles au profit d’une vaste résurgence nauséabonde d’un imaginaire à travers lequel la société de production produit son propre miroir. Face au romantisme inconditionnel du conte se confronte une création dont l’ordre et la moral n’ont rien à voir avec des intentions purement cinématographiques. Quitte à retourner dans nos doux rêves enfantins des années 90 ou de l’apogée romantique de 1946, une chose nous tiendra à coeur : voir, comprendre, assimiler et vivre le cinéma.