MOONLIGHT – LA LUTTE D’UNE VIE [CRITIQUE]

Garçon réservé et contraint à une vie familiale inexistante, Chiron se bat contre le monde qui l’entoure. Moonlight raconte son histoire avec une conviction émouvante, résultat d’une véritable leçon de mise en scène. 

Présenté comme l’un des favoris aux OscarsMoonlight sort enfin en France et ne manque pas de nous rappeler que le cinéma indépendant a des arguments à faire valoir, et ça tombe bien car le film de Barry Jenkins en est pourvus. Divisé en trois parties, le film fait le portrait dur et émouvant d’un jeune Afro-américain à qui on n’a rien demandé, qui se découvre au fil de ses interrogations, comme lorsque chaque être humain grandit. Face à l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte, le film parvient à trouver des artifices qui constituent un pacte progressif avec le spectateur. Puisque le film présente des situations indéfendables pour Chiron, lequel agit constamment en silence, c’est-à-dire dans l’ignorance de ceux qui se croient supérieurs et dans la réserve qu’il exprime à chaque prise de parole, Moonlight devient un film difficile à assimiler – une vraie expérience de cinéma. La routine de Chiron, parce qu’elle est taciturne, concorde avec celle du spectateur pendant la projection, et c’est là toute la magie du film, permise aussi par une mise en scène révélatrice des tournants moraux auxquels se confrontent le protagoniste.

Le portrait de ce jeune garçon dont il est difficile d’expliquer les caractères et la réussite, comme en attestent les plans très statiques de la sublime troisième partie, voit à travers la mise en scène deux objectifs : la recherche d’un mouvement émotionnel et le déploiement d’une tension romantique. Parce que Moonlight est aussi le récit d’une romance difficile à assumer et, donc, passée sous silence, la difficulté de joindre les deux bouts devient un véritable enjeu de mise en scène. La coutume romantique voudrait que l’on introduise un rapprochement durable entre deux individus, mais le film semble tellement terni par la condition de son personnage qu’il devient difficile pour lui de déployer des histoires. Là n’est pas la source d’une incommunicabilité ou d’une faiblesse, mais une assimilation brillante d’une nature profonde et perturbée contre laquelle le film bute constamment. C’est en vertu de cette idée que la caméra de Barry Jenkins est à la recherche constante d’un mouvement autour de ses personnages, jusqu’à parfois faire des aveux de faiblesse totalement assumés à travers des plans fixes brillants et capable de procurer des évasions éphémères au spectateur. L’esthétique est accomplie, il ne reste plus qu’à contempler.

C’est aussi dans cette idée que Moonlight fait l’effet d’un paradoxe : esthétiser (et faire évader) le mal pénétrant, pour faire du cinéma une esquive du réel – n’est-ce pas là une définition du septième art ? Dès lors, les enjeux que chaque partie livre à son personnage résultent d’un effet de globalisation assez saisissant, de la même manière que la fresque familiale de The Place Beyond the Pines avec lequel il entretient des similitudes sur le thème de la famille. Le silence des personnages, mérite de ces derniers, se voit trahi par la menace d’une société lunatique, quitte à abandonner tout ce qu’ils sont. Moonlight est un traité sur l’acceptation de soi et sur la saisie du monde comme code de valeurs, même quand ce monde déjoue avec les raisons d’être, qu’elles soient émotionnelles (la romance), familiales (la mère) ou solidaires (la famille d’accueil). Barry Jenkins voit avec son film l’opportunité de ne pas parler du monde, mais d’un monde qui naît et grandit, mais dont il refuse de concevoir quelconque effondrement. Les soupçons d’une surface dramatique sont nombreux dans Moonlight, et c’est ce qui peut parfois lui coûter cher, notamment dans les dialogues, mais il s’agit de voir plus loin, d’aller se chercher soi-même pour mieux (sur)vivre.

Moonlight n’est pas un drame où le choc lui est indissociable car il persévère constamment dans sa façon de construire son personnage, partagé par les contraintes et les avantages que lui offre la vie. Au même titre que Chiron, le film déborde de perturbations que la mise en scène dessine avec un charme émotionnel incontestable ; mais de la perturbation naît une forme d’espérance qu’il s’agit, à la fin de la projection, d’emporter avec nous pour mieux croire et accepter le monde qui nous entoure.