MIRION MAILLE: L’IMPUNITÉ DES HOMMES CÉLÈBRES

Suite à la lecture du fabuleux article éponyme de Mirion Maille sur son blog Commando Culotte, nous tenions à partager quelques vérités sexistes troublantes, qui se doivent d’être discutées encore et encore, et non oubliées ou abandonnées.

Quelques semaines avant qu’Angelina Jolie et Brad Pitt ne squattent les tabloïds avec l’annonce de leur séparation, un autre divorce ultra médiatisé faisait trembler la sphère people, à savoir celui de l’acteur américain Johnny Depp et de sa deuxième épouse, la comédienne Amber Heard. Progressivement disparue des radars, cette tempête médiatique a priori ‘ordinaire’ était pourtant l’illustration flagrante d’une réalité terrifiante, mise en avant par l’illustratrice Mirion Malle sur son blog Commando Culotte.

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En effet, il semblerait que l’opinion publique ait d’ores et déjà oublié les détails de l’histoire, comme on préfère se souvenir sélectivement des moments les plus agréables lorsque l’on pense à une ère révolue, ou à une personne disparue. Pire, tout au long de cette affaire, l’actrice a subi la foudre des fans de Johnny Depp , mais aussi plus globalement de la pensée collective, qui la présentait comme une jeune intéressée désireuse de nuire à la carrière de Depp et de récupérer une partie de sa richesse. Or, Amber Heard disposait d’un ensemble de preuves irréfutables d’agressions physiques et verbales de la part de son mari, et ce sous toutes les formes imaginables (photos de coups, extraits de disputes, et même deux personnes prêtes à témoigner à la barre). Et ce jugement général est très alarmant.

C’est à partir de ce constat glaçant que Mirion Malle entame son analyse illustrée de l’impunité des hommes célèbres, un fléau auquel nous participons hélas toutes et tous, même si l’information nous manque parfois. Généralement aveuglés par la qualité de l’artiste, les passionnés ont ainsi tendance à accorder à leurs stars préférées un certain statut les rendant inatteignables, et surtout forcément bons, justes et droits dans leurs bottes. Force est de constater que ce phénomène s’applique principalement aux hommes, empiriquement davantage bourreaux dans le cadre de violences conjugales et d’agressions sexuelles. Dès lors, leurs victimes apparaissent comme des menteuses, accusées d’avancer des fabulations pour briser l’image d’une personnalité, ou encore de vider son compte en banque.

La conséquence directe de cette effarante réalité? La perte de confiance des femmes subissant ces actes en l’appareil de justice, qui permet généralement aux coupables de s’en tirer assez facilement, et ce sans égratiner leurs carrières et leurs perspectives de succès. Pour les victimes, deux choix sont alors envisageables: ne rien dire, ou oser attaquer et défendre son honneur (et celui de toutes les femmes). Or, l’histoire montre que, même devant l’évidence, il arrive encore bien trop souvent que la plaignante, déjà victime d’actes extrêmement dégradants et douloureux (tant sur le plan physique que psychologique) soit fustigée pour ses accusations, et finisse par y perdre davantage qu’en taisant son traumatisme.

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C’est le cas de la grande Mia Farrow, autrefois mariée à Woody Allen. Accusé d’avoir abusé de leur fille commune Dylan en 1993 (à l’âge de 7 ans…), le cinéaste new-yorkais continue d’arpenter les tapis rouges du globe, sourire aux lèvres, et à caster les plus grands acteurs dans ses productions annuelles. En vérité, Woody Allen n’était même pas autorisé à rester seul avec sa fille à l’époque. Quelques années plus tard, il quittera Mia Farrow pour sa fille adoptive, Soon Yi, alors âgée de 22 ans. Troublant? Au final, c’est pourtant l’actrice qui est accusée de diffamation pour ses témoignages, avant d’être publiquement décrite comme une épouse jalouse, hystérique et possessive. Le mécanisme sensé s’inverse, les masques se figent, le pire survient: la victime devient coupable et enfile les menottes de la culpabilité, tandis que le bourreau s’échappe tranquillement de la prison qui lui était destinée.

Par la suite, l’illustratrice présente le cas Roman Polanski, également très médiatisé. L’homme est souvent présenté comme un martyr suite à son enfance en Pologne durant le génocide, et à l’assassinat abominable de son épouse Sharon Tate par la bande de Charles Manson en 1969. En revanche, ce que le monde préfère omettre à son sujet, c’est que le réalisateur a plaidé coupable pour avoir profité sexuellement d’une fille de 13 ans en 1977, alors que celle-ci était sous l’emprise de produits stupéfiants.

Le fait est que les abominations fonctionnent dans les deux sens et que, même si le malheur n’a pas d’échelle, les coupables des crimes subis par Polanski ont été entendus, jugés, puis punis pour leurs actes. Le cinéaste, lui, s’en est sorti avec 47 jours de prison avant de vivre exilé en Europe, tout en continuant ses productions sur le vieux continent. Ironie du sort: il a même été défendu par une pétition signée par 400 grandes personnalités artistiques, sous prétexte que la victime était bien trop jeune et ne s’en souvenait pas… Nous y sommes, ça y est: le concept d’impunité des hommes célèbres prend doucement tout son sens, et toute son écoeurante envergure.

Comme le souligne Mirion Malle, les exemples d’abus occultés par l’industrie ne manquent pas:

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Malgré tout, ces personnalités figurent probablement sur les fresques de toutes les cinémathèques du monde, rythment les soirées prestigieuses d’événements musicaux colossaux, et continuent à faire rêver et à enchanter des millions de personnes au fil des décennies. C’est là toute la subtilité malsaine de ce dangereux phénomène d’idolâtrie: c’est en omettant de dissocier personnalité et création que l’on permet à de telles aberrations judiciaires et populaires d’exister. Certes, beaucoup de ces faits remontent, et n’ont plus fait parler d’eux depuis trop longtemps. Cela dit, il n’est pas bien difficile de retrouver les détails sordides de ces affaires, et de remettre en question les sentences appliquées au cas par cas.

Ce qui fait vraiment peur, c’est qu’il semblerait que les hommes, en particulier célèbres, soit pardonnés très, trop, bien trop rapidement pour des actes aussi graves et impactants qu’une agression sexuelle, ou qu’un coup violent porté à leur compagne. Les stars ayant toujours façonné l’imaginaire collectif (fantasmes, modes, tendances), la promotion continue de ces hommes contribue ainsi à un phénomène bien plus global et sociétal présentant les accusatrices comme des menteuses, et les agresseurs comme des victimes de leur furie. C’est alors que la peur de la diffamation s’impose, notamment dans le cas d’un déséquilibre financier ou de notoriété, et ce même dans le cas d’abus pédophiles par exemple. Honte, secret et mal-être: c’est le monde à l’envers.

Enfin, comme l’indique la créatrice de ce manifeste essentiel, il est plus que jamais crucial, voire vital, de croire et d’écouter les victimes de tels actes, car c’est dans le recueillement, l’écoute et la compréhension qu’elles retrouveront un semblant de réconfort, d’acceptation et d’estime. Au-delà, la tentation du boycott de ces artistes est grande, même si une telle politique peut paraître vaine au niveau individuel. Alors n’oubliez pas: si vous ne le faites pas pour eux, faites-le pour vous, et surtout pour elles.

Merci pour la claque, Commando Culotte.