PREMIER CONTACT – VIVRE AVEC SON TEMPS [CRITIQUE]

Pour sa première tentative dans la science-fiction, Denis Villeneuve (Prisoners, Sicario) offre un film introspectif sur la notion de temps et d’humanité. Une œuvre intemporelle, parmi les meilleures de cette année.  

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C’est comme un destin auquel le talentueux Denis Villeneuve ne pouvait éviter, lui et sa mise en scène polyvalente qui, à travers ses œuvres, a exploré le cinéma sous différents angles. Il y a le thriller policier, tout d’abord, glacial et d’une maturité saisissante (Prisoners, Sicario), sans oublier son goût certain pour le mystère et le choc scénaristique, quoique dramatique, dans Incendies et Enemy, son meilleur film à ce jour. Pour aller encore plus loin, le cinéaste canadien s’attaque donc à la science-fiction : Arrival (titre original que nous utiliserons), une œuvre bouleversante sur des thèmes qui, jusqu’à présent, étaient inconnus pour le geste cinématographique du réalisateur. Fidèle à l’idée de suivre le périple psychologique d’un personnage, Villeneuve s’empare de la science-fiction comme motif non seulement scénaristique, mais aussi comme un enjeu esthétique jamais vu au cinéma ; car c’est en allant plus loin que le cinéaste canadien marque les consciences.

C’est la question extraterrestre qui gouverne le film, et elle n’a rien de spielbergienne – contrairement à Midnight Special, autre film de cette année posant la question du troisième type au cinéma. Villeneuve voit dans cette présence surnaturelle l’opportunité d’en faire une phénoménologie qui toucherait autant la psychologie des personnages que l’esthétique elle-même. C’est pourquoi il fait appel à une musique d’ambiance – merci Jóhann Jóhannsson – intrinsèquement liée à cette singularité, chose que beaucoup de films ringardisent par un regard souvent manichéen et bien souvent dommageable. La photographie presque désaturée et d’une obscurité jamais aussi appuyée dans la carrière de Villeneuve aide grandement à la compréhension d’un bouleversement d’entité visuelle et phénoménologique. L’esthétique d’un film n’aura jamais été aussi indissociable au sujet qu’il traite. Il ne s’agit pas de comprendre l’état même du troisième type, mais d’analyser leur arrivée pour mieux fournir de conséquences qui, elles, se déploient à travers un scénario d’une complexité déstabilisante et à la portée philosophique inimaginable.

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Si les heptapodes – c’est le nom que le film leur donne – soulève des questions comme des miroirs de nos consciences, alors l’aventure de Louise Banks, alias la si juste Amy Adams, n’est rien de plus qu’un nouvel intermédiaire à la constitution des phénomènes qui se produisent à l’écran. C’est pourtant ce qu’il faut pour montrer à quel point Arrival frôle la perfection introspective. Grandement influencé, Villeneuve joue la carte de la mémoire visuelle digne des films de Terrence Malick et présente des enjeux philosophiques similaires à ceux de Stanley Kubrick, excusez du peu. Le mystère absolu qui englobe le pourquoi de l’arrivée des extraterrestres et l’introspection de Louise Banks est motivé par des questions qui s’étirent au fur et à mesure : en s’adjugeant la question de la langue comme moteur de nos origines, le métrage s’ouvre aux phénomènes comme les personnages s’ouvrent à eux-mêmes. Arrival est un film qui prouve que l’esthétique n’est pas seulement le mirage de la sensibilité, mais aussi une capacité à comprendre les finalités vers lesquelles le film progresse. C’est en regardant plus en profondeur que la démarche n’est plus seulement un tic de personnalité de la part de Villeneuve, car il n’y a d’éternel que son allure et sa puissance.

Ceux qui ont été marqué par la fin terriblement stoïque de Prisoners ou le mindfuck de Enemy ne seront pas déçus par l’autre tournure que prend le nouveau film de Denis Villeneuve. Ayant constaté le lien indissociable et réciproque entre l’esthétique et les questions qu’elle pose, Arrival est aussi une œuvre qui en dit long sur les rapports que les êtres humains construisent au fil de leur vie et comment les événements inattendus peuvent les gouverner émotionnellement. Au-delà de sa solidité cinématographique, l’œuvre agit selon une certaine idée de la bonté et de la beauté : la vie et le temps n’ont pas de sens, il n’y a que de la beauté dans le bonheur comme le malheur, et il est à vivre. Le mystère villeneuvien, qui s’accouple toujours avec une structure scénaristique particulière, a toujours su distiller des messages qui, avant Arrival, semblaient s’ouvrir avec des caractères limitées. Ici, la portée est immense, en plus d’être réussie. La démarche unique au réalisateur s’envole vers l’éternel, un éternel qui prend toujours un certain temps à se construire, certes. Mais à chaque apogée il faut un certain temps, pour mieux le saisir et le deviner. L’apogée de Louise est d’avoir atteint cette question : sommes-nous des êtres temporels ?

Dans le souci de ne pas dévoiler des éléments essentiels au bon déroulement de l’intrigue, la portée théorique du présent texte n’aura de sens que pour ceux qui se sont déplacés au cinéma. Mais ce texte n’a d’affirmation que la motivation de ce dernier : pourquoi il serait trop bête de louper un film comme Arrival ? Dans l’imaginaire de la science-fiction et du troisième type au cinéma, Denis Villeneuve réussit une entrée en matière incroyable et marquante qui, certainement, s’inscrira au fil du temps comme une référence en termes d’introspection cinématographique. Et, dans le souci de voir chez le cinéaste canadien un talent aussi fougueux que fascinant, il conviendrait de dire que son cinéma a atteint le bout du bout de son odyssée cinématographique, à travers le drame et l’humanité.