STRANGER THINGS 2 – L’AMOUR ET L’HORREUR [CRITIQUE]

Après son arrivée en grande pompe quoique vague dans le champ télévisé, la série Stranger Things procure avec sa saison 2 des moments d’intensité et d’émotion renversants: au nom de l’amour, de l’horreur et de l’informe.

Cet article contient des révélations sur la saison 2 de « Stranger Things »

Si l’objet série réussi à motiver le quotidien de ses spectateurs sur le long terme, c’est aussi grâce à des créations comme Stranger Things. Après la découverte de la première saison, l’ébauche teen-fantastique de Netflix s’est rapidement transformée en phénomène dont chacun de nous attendait la suite : héritage des 80’s, la frénésie des références, l’innocence de ses personnages et un générique on ne peut plus cool. Tout est allé très vite. Et les frères Duffer, créateurs de la série, tentent (très) justement de faire en sorte que Stranger Things ne soit pas une entreprise d’autoréférence sous prétexte que la première version a marqué les esprits. Mieux que cela, cette saison 2 procure une extension généreuse de son univers et tout cela avec une maîtrise que l’on pourrait qualifier d’informe. Pour mieux faire bouger ses pions, quoi de mieux que surexploiter l’Upside Down – cette alter-ego bizarre et mortuaire de notre monde – et l’altérer avec le réel et ce personnage de Will (incarné par l’incroyable Noah Schnapp), le gamin disparu qui motivait le scénario de la première saison ? Plus rien n’est véritablement caché : tout est désormais une question d’altération, même d’omniprésence ; et c’est là que les différents partis-pris de la série sont le reflet d’un effet boomerang enchanteur.

Qu’est-ce qui fait que cette saison 2 parvient à faire augmenter la série, au-delà de ses personnages volontaires et la puissance maléfique de l’Upside Down ? Au fond, si la série reste accrochée à ces bases, elle procure pourtant autant d’arguments dans le registre, d’abord, du romantisme : ce qui est absolument nouveau. Constamment, ce nouveau mouvement insiste sur la complexité émotionnelle de ses personnages et les dilemmes qui se présentent face à eux. La légère angoisse qui débouchait de la première saison – celle d’avoir affaire à des personnages qui ne grandissent pas moralement – est complètement tétanisée par l’ampleur inclusive d’un scénario en majeure partie broché par les relations romantiques entre ses personnages.

Et bien sûr, tout l’enjeu est de les incorporer au sein des différentes gammes de protagonistes : cette bande de gamins (la rivalité amoureuse, la fameuse bande, l’intégrité à celle-ci), les jeunes ados (le triangle amoureux composé de Nancy, Jonathan et Steve) et enfin les adultes incarnés surtout par Winona Ryder et David Harbour (sans oublier le nouveau et très attachant Bob, amoureux de la première, incarné par Sean Astin). Tout ceci peut être relié à la relation passionnelle et distante (donc compliquée) entre Eleven et Mike, même procurer des mélanges savants : la première vraie relation entre l’enfant et adulte, en plus d’être touchante, est dans cette saison 2 avec Eleven, encore elle, et Hopper. En prolongeant tous ces contacts dans ce second chapitre, Stranger Things est plus que jamais une série qui peut compter sur la richesse et le romantisme de son répertoire : qu’est-ce que ça veut dire d’être ami et amoureux ? Et les nombreuses réponses apportées par la série nous comblent, sans même prendre en compte les différentes étapes du scénario.

L’autre nouveauté, et ça n’aura pas échappé aux (déjà) nombreux addicts de la série, c’est le tournant horrifique de sa mise en scène. Comme cité plus haut, l’Upside Down – et particulièrement une ombre maléfique – s’empare du corps de Will pour mieux prendre possession du monde réel. Ainsi, toute la réalisation encadrée par les frères Duffer fait germer le potentiel horrifique de la série : monstres visqueux, obscurité omniprésente, un rouge sang mélangé à du bleu gris… Si le trop-plein référentiel de la première saison pouvait faire piquer du nez, Stranger Things s’abonne ici à un genre bien déterminé, celui de l’horreur, ayant même quelques intentions dignes du gore et du paranormal. Le sang qui coule du nez de Eleven à chaque fois qu’elle utilise son pouvoir trouve une réponse on ne peut plus radicale. La violence des gestes et des postures (cris nombreux, larmes en série, corps en sueur…) constituent également l’un des tournants moraux de la série : bien plus qu’une série teen, Stranger Things s’approche de plus en plus d’un récit adulte dans sa faculté à promouvoir son style.

Si bienveillante envers la création artistique, cette faculté de rétrospection esthétique trouve un ressort formel assez hallucinant. La saison 2 est un pur condensé de trouvailles visuelles, aussi bien sur le plan des effets spéciaux que celui – et c’est plus étonnant – du montage : la fluidité de son parallélisme, des transitions très bien senties et quelques moments de légèreté qui laissent respirer son spectateur. Mais tout ceci est de l’ordre de la répercussion puisque ce compromis entre le romantisme et l’horreur, prédominants pour concevoir ce nouveau chapitre, fait accoucher la forme et les directions scénaristiques. C’est ainsi tout le sens que prend l’épisode 7, celui consacré à la relation entre Eleven et sa sœur : la conquête familiale motivée par des pouvoirs insondables, et comment les maîtriser, et même s’en détacher, pour mieux les contrôler ?

D’autres éléments reliés à la répercussion voire à la transgression impliquent la série dans le registre de l’informe : le corps de Will possédé par une entité démoniaque trop grande pour le cadre, ces monstres à gueules ouvertes, leurs adoptions par Dustin, l’omniprésence de ce entre-monde black digne de Under the Skin, les flashbacks… La quête formelle de Stranger Things passe avant par cette exploitation du non-visible et de l’irrationalité. Mieux qu’une camionnette renversée en plein jour dans la saison 1, le champ visuel de cette saison 2 se structure autour d’une préméditation formelle qui aboutit à des purs moments de gloire dans le cadre de la série télévisée.