Un été est-il un véritable été sans la sortie d’un film de Guillaume Brac ? Après L’île au trésor et Contes de Juillet, le réalisateur nous offre une nouvelle fiction sur la réalité estivale, dans laquelle il explore les états de cœur de ses personnages.
Guillaume Brac fait évoluer ses long-métrages dans un registre que l’on pourrait nommer « fiction douce ». Il compose des films qui sont en quelque sorte des suites de pastilles réalistes. L’ordinaire et les épiphanies extraordinaires s’y télescopent d’un jeu subtil. Cette fois-ci, le réalisateur emmène ses personnages à l’abordage de la fin de l’été, d’une nuit de fête parisienne jusqu’à un petit camping au cœur de la Drôme.
Pour cela, il lui suffit d’un amoureux (Félix) qui veut retrouver sa belle sur son lieu de vacances pour lui faire une surprise, et d’un acolyte (Shérif) qui n’hésite pas à simuler la mort de sa grand mère pour obtenir un congé. Son patron n’est pas dupe, mais le lui accorde quand même.
Un écrin pour provoquer des situations, réunir des personnages et les faire dialoguer
Direction le sud, en Blablacar, donc. Et qu’importe si une voiture immobilisée au garage, retenant ainsi son propriétaire dans le « mauvais » lieu de villégiature… est aussi l’élément clé du synopsis du premier film Camping. Dans À L’abordage, le scénario est un écrin pour provoquer des situations, réunir des personnages et les faire dialoguer. Il ne comporte en réalité que la direction générale de l’intrigue et les grandes lignes de chaque séquence.
Il fallait un prétexte pour que la rencontre entre le duo Félix-Shérif et Édouard, leur pilote, dure. D’ailleurs, la séquence qui introduit ce dernier dans laquelle Félix et Shérif se sont fait passer pour des filles afin de trouver plus facilement un trajet de covoiturage… figure aussi dans un des films Camping (le 3?) Le réalisateur, après la projection du film, jure qu’il n’en avait pas la moindre idée. On le croit sur parole, et quand bien même, qu’est-ce que cela changerait ?
Le camping et plus largement les rives de cette rivière de la Drôme restent une destination. Là où les personnages sortis de leur cadre de vie habituel peuvent être eux-mêmes. C’est aussi un décor naturel idéal. La piscine semble se jeter dans la rivière et les deux espaces permettent de définir les personnalités des protagonistes. Félix, sportif et amoureux transi, rêve de la rivière et y multiplie les scénarios.
À l’inverse Shérif, « avec ses otites », veut à tout prix l’éviter. On le verra rarement ailleurs qu’aux alentours de la piscine (et de la buvette) et jamais dans l’eau. Édouard, lui, mouille le maillot. L’occasion pour le réalisateur de présenter avec bienveillance sa condition physique chétive. Celle d’un personnage toujours contrepoint qui ne tombe jamais dans la caricature. Son bronzage rappelle celui des cyclistes que Brac filmait dans Le Repos des Braves en 2016. Le spectateur rit des piques que les protagonistes s’envoient, de leurs emportements, de leurs colères.
La « méthode Brac »
À l’abordage témoigne du succès de la méthode Brac, soit partir de ses acteurs pour construire leurs personnages et pas l’inverse. Les comédiens sont encore au conservatoire, mais le réalisateur les a écoutés. Le tout dans une sincérité déroutante (parfois en termes de jeu également). Leur donner cette place, cette idée de « co-construction » permet d’ailleurs d’éviter tout cliché : les deux gaillards originaires de la Courneuve évitent l’assignation facile qu’on aurait pu leur faire. Le plus musclé des deux est aussi un amoureux rêveur, son acolyte est un réaliste mais superbement à l’aise avec le bébé [celui du réalisateur, nous souffle-t-on : là encore la fiction croise le réel] pour lequel il se prend d’affection. A moins que ce ne soit pour sa génitrice ? Le film tâchera d’y répondre, en étudiant ce que peuvent être les relations entre garçons et filles le temps de quelques jours d’été.
À l’abordage est doux, serein. Ses enjeux sont réalistes, parfois ténus, mais fondamentaux. Si Félix fait six cent kilomètres pour retrouver Alma, c’est parce qu’il croit en leur relation. De même, si Héléna est seule pour ses vacances, c’est qu’elle cache un parcours pas toujours évident. Si elle croise la route de Shérif, ce n’est sans doute pas pour rien. Guillaume Brac trouve la force de conclure son film au « bon » moment, après avoir bousculé une réalité qu’on aurait pu croire immuable.
Pas de retour à Paris au matin du dernier jour des vacances. En achevant les trajectoires de certains personnages mais en laissant d’autres en suspend, il nous quitte dans la douce torpeur d’une fin de mois d’août. Et laisse la suite entre nos mains.
Augustin Pietron (Oggy)