Prendre le temps d’expérimenter. A$AP Rocky soigne sa carrière solo et veut créer l’événement à chaque livraison. Testing est certes un nouveau « test » musical, mais aussi la confirmation de l’immense singularité du Lord Pretty Flacko.
On se souvient encore des gifles comme Wassup ou Purple Swag. On est en 2011 et le petit gars d’Harlem déboule sur ses instrus de cloud rap avec son style nonchalant, ses clips saturés où la codéine et l’herbe occupent une place centrale. Mais pourtant la musique et la technique sont là. On tient un nouveau phénomène.
Deux ans plus tard, A$AP Rocky confirme avec son premier album. Même univers musical, mais la technique monte d’un cran. Le rappeur trouve sa place auprès d’un casting de luxe: Drake, Kendrick Lamar, Schoolboy Q, Yelawolf, Gucci Mane… Ça donne envie de se repasser immédiatement 1Train! Mais c’est en 2015 qu’il entame un réel tournant en publiant le sublime L$D, un son clipé façon Gaspar Noé où Flacko chantonne sur un air de guitare envoutant. AT.LONG.LAST.A$AP est son premier projet « exigeant », mais qui a son lot de réussites: Canal St, Electric Body ou l’incroyable introduction, Holy Ghost.
Depuis Rocky s’est consacré au développement de son groupe A$AP Mob avec des projets de valeurs inégales… Et des exécutions parfois flemmardes, mettant naturellement son compère A$AP Ferg sur le devant de la scène. Mais début 2018, le jeune Mayers revient plus motivé que jamais en découpant le morceau Pick It Up de Famous Dex. S’en suit un long teasing sur les réseaux où le troisième album se dévoile par bribes. Les promesses d’excellence s’enchainent et l’attente est à son comble.
On ne pouvait qu’être rassasiés en découvrant le premier extrait officiel. A$AP Forever est un classique instantané. Peut-être par ce qu’il sample un autre classique signé Moby. La douce mélodie de Porcelain se marie si bien à son univers… Et comme ses visuels sont toujours soignés, on ne peut qu’être pantois face à autant de maîtrise et d’émotion.
A vrai dire, c’est ce type d’émotions qu’il manque à Testing pour mettre tout le monde d’accord d’amblée. A$AP Rocky a une voix, une technique singulière qui s’adapte parfaitement à de puissantes mélodies, ce qui a tendance à nous frustrer lorsque celle-ci se perd sur des beats tortueux. Mais on l’aime aussi pour sa noirceur. En ce sens, l’album livre encore une fois un banger en guise d’introduction. L’instrumental de Nez & Rio tâche, mais nos oreilles ne saignent pas. Tony Tone, Fukk Sleep avec la sublime FKA Twigs ou encore Hun43rd (et la prod’ immersive de Devonté Hynes) sont sur la même lancée et Flacko se balade.
Les featuring sont également choisis avec soin. Skepta et Juicy J posent sur les bangers de l’album, tandis que French Montana chantonne sous Ciroc sur l’émouvant Brotha Man. Franck Ocean clôture joliment sur une balade acoustique, une autre composante sonore qui traverse ce troisième album. On préfèrera le très touchant Changes, où Mayers se livre en finesse sur une instru’ évolutive co-signée par Finatic N Zac et Dj Khalil.
Il faut encore une fois saluer la direction artistique et le travail de Hector Delgado, vieux compère de Flacko, nous offrant un projet immersif et toujours aussi cohérent. Cela ne cache pas certaines zones de trouble face à des morceaux qui ont du mal à nous convaincre. L’expérimentation est un exercice risqué, mais A$AP Rocky a désormais assez de jeu pour miser sur son replay value. En écoutant Testing, on peut repenser au travail de Kanye West sur Life of Pablo, à celui de Schoolboy Q sur Blank Face LP, Birds In The Trap Sing McKnight de Travis Scott… Sans oublier le dernier Kendrick Lamar. Bref, tous ces artistes, plus ou moins jeunes, qui ont réussi à se fonder une solide réputation en proposant leur son et leur vision de la musique. Un acte qui mérite d’être salué.
Testing n’est pas peut-être pas (encore) le chef d’œuvre promis par son créateur, mais il a le mérite de ne pas s’engloutir aussi rapidement qu’un menu Best Of. A la digestion, le goût reste en bouche. De quoi épater nos palais gourmands.
