BATTLE OF THE SEXES – MATCH NUL [CRITIQUE]

Si l’on peut approuver son effet rétro, pas sûr que Battle of the Sexes fera date dans le registre politique de son cinéma : voilà un film trop aseptisé qui oublie de parler de ses personnages et de raconter une histoire. 

Sur la vague des films aux tendances militantes quoique pauvres en termes de propositions de cinéma – n’oublions pas l’ambivalent Hidden Figures sorti en début d’année -, Battle of the Sexes arrive en salles au coeur d’une période sensible de remise en perspective des droits des femmes qui offre au contexte qu’il raconte un regain de contemporanéité indéniable. Dépeignant le mépris des hommes de tous milieux envers le tennis féminin au début des années 70, le film met en scène l’affrontement entre Billie Jean King (aka Emma Stone), numéro une mondiale et jeune féministe convaincue, et Bobby Riggs (Steve Carell), un machiste hors-pair dont la retraite se baigne dans les paris les plus coûteux. Ce match vite vu comme une mascarade exhibitionniste pour un sport qui n’est pas encore entré dans l’ère open, il deviendra finalement un symbole de la libération des droits des femmes dans un jeu jusqu’alors entièrement gouverné par les hommes.

Un vrai signe de progrès sur le plan politique que le film tente de montrer à travers une esthétique rétro dont le seul mérite se limite par cette affirmation bien sûr courue d’avance : « regarder comme nous vivons dans une époque bien plus sympatoche qu’il y a quarante ans. » Oui parce que Jonathan Dayton et Valerie Faris, déjà réalisateurs de la divine comédie Little Miss Sunshine, donnent cette impression que la forme est un sujet tabou et nomade de leur cinéma. Ce qui les importe, c’est le sujet, sa portée, qu’elle que soit la forme à adopter – si ce n’est mettre du jaune dans tous les plans. Ces sursauts indépendants que représentent leur road movie familial et leur second film Elle s’appelle Ruby, cette ingénieuse comédie romantique, se basent habilement sur le compromis entre une idée et un genre. Dans Battle of the Sexes, c’est le féminisme qui rencontre le biopic.

Or, le film ne raconte jamais le féminisme grandissant des années 70 et ne propose aucune remise en perspective d’un genre bien établi – et de plus en plus corrompu – du système hollywoodien. Ce constat se résume par l’inconsistance progressive de ses personnages : autrement dit, jamais cette fameuse bataille n’aura lieu si ce n’est à travers des dialogues trop calibrés et des portraits intimistes qui frôlent la caricature. De la même manière qu’un Borg/McEnroe, le film sépare ses personnages pour mieux les faire rencontrer, l’aspect psychologique – prédominant quand on parle d’éthique politique – et pratique en moins : le tennis, au fond, on s’en tape.

Le film multiplie les fautes directes, et c’est l’expérience de visionnage qui devient une épreuve : succession de gros plans racoleurs, montage à la peine, faible utilisation de la playlist qui est pourtant l’un des points forts des cinéastes… Et parfois, Battle of the Sexes s’en sort grâce à ses interprètes (Steve Carell et l’étonnante Andrea Riseborough en tête) et son effet de rétrospective qui, finalement, parvient à donner de l’ampleur à ses différents décors et costumes. Mais cette question se pose : s’agit-il d’une vraie remise en perspective du retard de l’époque ou juste un effet cool prêt à faire courir les shopper les plus convulsifs d’entre nous ? Pas sûr que l’honnêteté de ce genre de cinéma puisse se traduire par les formes, et c’est bien vain d’utiliser un genre en péril artistique pour se permettre d’étaler une morale que l’on connaît déjà.

Certainement trop préoccupé par ses fins politiques, Battle of the Sexes est un film facilement oubliable et que l’on regrette d’oublier tant les réalisateurs ont su par le passé faire jaillir tout leur talent de conteurs d’histoires sociales et romantiques. Paradoxalement, si ce propos on ne peut plus honorable et engagé peine à trouver une diffusion efficace, c’est aussi parce que le genre rétro-biopic politisé auquel il est obligé de se substituer peine à s’adapter aux différents enjeux du cinéma contemporain : celui de la légèreté et de la créativité (cf. 120 battements par minute). Le débat qui regroupe politique et cinéma, lui, reste encore d’actualité, mais il est plus que jamais temps d’avancer que l’une deux parties peut aseptiser l’autre…