Better Call Saul (Saison 4) – Le choc des identités

Jimmy McGill s’est vu retirer son droit d’exercer le métier d’avocat. La promesse d’un nouveau départ et d’une reconstruction du personnage se transforme en vaste jeu de rôles qui consiste à fracturer les identités. Magistral de bout en bout.

Cet article contient des informations relatives aux saisons précédentes de Better Call Saul. 

Cassons les préjugés avant de débuter. Better Call Saul pourrait souffrir de la comparaison avec Breaking Bad, sa grande sœur réputée comme inatteignable. « Pourrait », oui, car il n’en est rien. Et cette saison 4 vient de le confirmer : outre les ressemblances qu’il entretient, ce prelude de la saga de Walter White est aussi un reflet aux contours épurés. C’est comme tracer une ligne droite, descendante et ascendante, qui peut aussi bien nous diriger vers la vie du prof de chimie devenu baron de la drogue que proposer un prolongement mûrement réfléchi des questions que se posaient déjà Vince Gilligan et Peter Gould, les partners in crime officieux d’AMC avant, de Netflix maintenant.

Qu’est-ce que ça fait de passer de l’autre côté ? Comment on fait ? Quelles conséquences ? Le point de départ qui fait que Walter White et Saul se ressemblent – avant qu’ils ne s’assemblent –, c’est d’abord le déchirement d’une personnalité d’abord reliée à un milieu professionnel, le fameux ancrage social de Breaking Bad qui est également de mise dans Better Call Saul. White c’était le professorat des écoles (après avoir fondé une compagnie multimilliardaire dont il s’est détaché) : viré. Goodman c’était – ou c’est toujours ? – le monde du droit et la profession d’avocat : il s’est vu retirer sa licence pour faute grave (saison 3). Première déchirure d’un visage qui en engendra bien d’autres (de déchirures et de visages). La saison 4 fait le récit de l’année sabbatique de Jimmy, sans donc son statut d’avocat. Et là, les nuances se mesurent, comme cette ligne droite. Enfin la magie peut opérer.

Jeux de rôles

Autre faux parallélisme : la partenaire de Jimmy, comme Skyler de Walt, est sa petite amie Kim, avocate douée, impétueuse et qui n’hésite pas de passer de l’autre côté de la loi ; comme Skyler, oui. Elle souhaite le soutenir face à l’épreuve du deuil de son frère Chuck, mort brutalement dans l’incendie de sa propre maison. Mais par un jeu efficace et toujours aussi solide de Bob Odenkirk – confirmant au passage qu’il est l’un des meilleurs acteurs actuels aux Etats-Unis –, Jimmy n’en a que faire, lisant une lettre testament avec un déni qui agit comme une véritable pique non seulement sur Kim, bouche bée, mais aussi sur le spectateur, pris par surprise par cette violence relative à une métamorphose prévue pourtant depuis le début. Car la formule de la saison 4 concerne autant la transformation en Saul que le souvenir d’une lutte fratricide avec Chuck, car évidemment liées, mais plus que tout parce qu’elles entretiennent une distance terrible, une zone grise entre ce que c’est d’être un frère ignorant et un frère aimant (fabuleux flashback du dernier épisode), une zone instable qui se ressent même dans la forme. L’abstraction des plans et des situations laissent place à des jeux de rôles qu’on arrive à deviner – jouer les petits malins en trafiquant des lettres de soutien à un accusé innocent – ou non – cette fameuse question : Saul est-il sincère ?

Remarquez comme on a oublié Kim en un instant, elle qui se trouve au-dessus de Jimmy en terme de situation – job à plein temps, elle fait sa nounou – mais, oui, dans l’ombre de celui-ci dès que la série aborde la psychologie dérivante du personnage. La bascule est patiente pour lui, mais elle est soudaine, souvent, pour elle – comme son accident de voiture. On a oublié qu’elle avait un plâtre recouvrant l’intégralité de son bras gauche. Dans ce manège, où ne sait plus où est Kim. On ne sait plus qui elle est non plus, tandis que Jimmy/Saul, dans un final magistral et lui aussi piquant, où nous sommes partagés par la joie et l’horreur, arbore soudainement sa nouvelle identité après cette lente reconstruction (on ne révélera pas l’issue finale), ou destruction. Kim est-elle devenue le fantôme de Jimmy McGill ? Asymétrie des identités et des rythmes qui dépouillent les ressemblances avec Breaking Bad, car la mission est simple, être à l’intérieur d’elle, et briller de mille feux à la naissance. Better Call Saul, une série du dedans ; dans Breaking Bad, tirée (Saul) comme exilée (Kim) par elle. Et ça tombe bien : avec Better Call Saul, c’est incontestablement la naissance d’une grande série.

L’identité Breaking Bad en prend aussi pour son grade par l’intermédiaire de la story de Mike et Gus qui, ça y est, ont enfin fait un pacte. Et on parlera plus de pacte avec le diable tant la focalisation sur Mike excède celle de Gus puisque, comme à son habitude, l’homme poulet qui convoque calme et colère en une seule expression faciale reste le plus souvent aux fourneaux de ses Pollos Hermanos. Identité que l’on creuse, comme ce trou au bon milieu d’une blanchisserie qui donnera naissance au fameux super laboratoire de Walt et Jesse : échelles de plans similaires et même sensation de (re)naissance – celle du laboratoire dans Better Call Saul et celle de Walter White, reprenant alors son cooking, dans Breaking Bad. Identité que l’on consulte à son état le plus primitif : le béton. Identité que l’on retrouve à travers le langage (les Allemands ouvriers comme les Allemands propriétaires, le ding ding de Hector Salamanca) et à laquelle on ne peut échapper (la fuite de Ziegler, le contrat de Mike…). Finalement, le Gilligan Serial Universe est la leçon d’une seule identité par l’interdépendance de Better Call Saul et Breaking Bad. Expliquons : Better Call Saul ne serait probablement rien sans Breaking Bad, et Breaking Bad ne serait probablement rien sans Better Call Saul. La preuve que les devenir salauds sont les génies de la création.