BLACK PANTHER – LE ROI ET SON DOUBLE [CRITIQUE]

Dernière oeuvre du MCU avant l’explosion prévue en avril, Black Panther arrive dans l’univers avec une conviction jusqu’ici jamais vue. Entre héritage et initiation, un film pop et vertueux bien dosé politiquement.

En attente de l’explosion Infinity War prévue en avril prochain, le Marvel Cinematic Universe s’est dopé à l’économie narrative avec quatre films successifs où il est davantage question d’aventures en solo que de rassemblements. C’est donc maintenant au tour de Black Panther, nouveau membre du team Avengers et qui s’est joint à l’univers depuis le sous-estimé Civil War en 2016. Entre roi en devenir et surhomme vêtu d’un costume de matou agressif, ce personnage est également profondément ancré dans une culture nouvelle pour la figure du super-héros – à la fois dès sa naissance en comics, mais aussi de nos jours au cinéma : il est noir et d’origine africaine. Et cette fraîcheur, d’autant plus qu’elle est greffée à une certaine actualité sur laquelle il est inutile de revenir, est aussi une raison de l’engagement de Ryan Coogler, auteur de l’excellent Creed et qui a également réalisé une œuvre symbole dans la lutte de la communauté noire aux Etats-Unis avec Fruitvale Station.

Héroïsme politique

Cet alliage entre un nouvel horizon esthétique propice à l’immersion du premier film cité avec l’engagement politique voire historique du second permet à Black Panther de se démarquer de tout ce qu’a pu offrir le MCU jusqu’à présent : sur le papier, oui, mais aussi sur le forme adoptée ici. L’offre générale du film tend à tenir le spectateur sur cette conception politique du super-héros avec pour trajectoires principales les notions d’héritage et d’initiation : T’Challa vient de voir son père mourir, et doit désormais prendre sa succession et régner sur le Wakanda, terre africaine secrète en avance sur les technologies. Ainsi, le héros a cet enjeu d’être à la hauteur non seulement de l’héritage qui lui a été transmis, mais aussi de ce nouvel horizon qui se présente face à lui. C’est pourquoi la vision politique du film, en plus de sa remise en question constante d’une éthique à l’échelle d’un royaume et d’un monde qui change, est issue d’une vision globale de la société, mais plus que tout de celles et ceux qui l’incarnent. Ainsi Black Panther n’est pas un film de super-héros comme les autres : tout ne dépend pas forcément de son protagoniste principal. C’est par cette démarche pluraliste – à en témoigner les nombreux personnages du second plan – que le film est aussi capable de proposer des ressorts dramatiques absolument surprenants.

D’abord parce que l’agencement des différents événements parcourant le film se réalise avec une fluidité qui rappelle la décomplexion teen de Homecoming et le burlesque de Ragnarok. Encore mieux que ces deux derniers volets de la saga marvellienne, Black Panther offre une série de twists assez pléthorique qui lui permet de tenir en haleine du début à la fin. Tournants d’abord formels avant de servir le scénario, comme en témoigne ses décors et costumes à la fois typiques du continent, et aussi très pop (scène du casino). En convoquant quelques mythes tels que Le Roi LionJames Bond et même Lawrence d’Arabie, cette nouvelle œuvre marvellienne étonne pour sa faculté à rebondir constamment. Et la grande figure qui jaillit de cette combinaison savante est le personnage incarné par Michael B. Jordan, fidèle interprète de Ryan Coogler. Avec lui, le MCU tient certainement le bad guy le plus complexe et le plus légitime depuis sa création : sa progression dans le récit, ses motivations et sa gueule de gladiateur moderne le rend attachant. C’est à la fois une prise de conscience de la dimension politique du récit – un jeune noir orgueilleux au destin tracé dès sa plus jeune enfance dans l’incompréhension du drame –, mais aussi une leçon d’écriture : Black Panther est le film Marvel le mieux écrit depuis Avengers.

Pour preuve, davantage que sa fonction d’antagoniste, ce méchant remet sur le devant de la scène une thématique très peu utilisée dans les films de super-héros : celle du double. Instaurée dans la saga Spider-Man de Sam Raimi, parfois reprise chez Iron Man et avec maladresse dans Dawn of Justice, cette notion de duplicité parcourt Black Panther avec conviction. Quel est le double du Black Panther et de sa société ? Comment le spectre familial est autant un héritage qu’une fausseté ? Au fond, ce suspense qui lie le héros et son double revient toujours à cette dimension politique qui introduisait ce propos. La loyauté du héros, déjà aperçue dans Civil War, trouve ici un compromis complexe et intelligent par cette question du double, jusqu’à prendre des décisions influencées justement par cette remise en perspective. Comme quoi la politique se diffuse dans l’héroïsme et la loyauté, cela tombe bien, le Black Panther incarne les deux à la fois. Mais pas sûr pour autant que Marvel y ait crut une seconde (la fin, un peu bancale)…

Parmi toutes les œuvres du MCU, Black Panther avait tout le potentiel pour se démarquer de ce qui a été fait jusqu’à présent. Mais c’est le résultat qui compte, et il est tout bonnement exceptionnel. Grâce à l’intelligence de son écriture sur le front politique, Black Panther revisite à sa manière toute l’essence de la culture super-héroïque grâce à l’imbrication d’une autre. Il ne reste plus qu’à conclure en beauté…