CALL ME BY YOUR NAME – SONGES D’UN ÉTÉ [CRITIQUE]

Après Seule sur la plage la nuit et Phantom Thread, le film de Luca Guadagnino fait le triomphe du sentiment amoureux grâce à une mise en scène raffinée et un flot d’émotions signe d’une grande prouesse. 

L’un habite avec ses parents dans une villa de rêve au cœur de la campagne italienne, tandis que le soleil reflète à travers l’eau de la rivière qui environne. Il a 17 ans, mais dispose d’une maturité étonnante et d’une culture de tous les instants. Il s’appelle Elio. L’autre est plus âgé, doctorant et vient d’Amérique. Il s’appelle Oliver, il vient résider quelques mois dans ce décor estival, et ses manières venues tout droit d’outre-Atlantique amusent ses hôtes – Elio a un père spécialiste en culture gréco-romaine et une mère traductrice. Rien de bien commun entre Elio et Oliver qui, pourtant, au fur et à mesure, éprouveront une fascination réciproque jusqu’à la recherche d’un idéal : celui du premier amour pour Elio, et le songe amoureux d’un été pour Oliver. C’est le début d’une histoire qui tend vers le sentiment amoureux, oui, mais plus que tout vers sa dimension charnelle, au nom de la sensualité et, d’une certaine façon, d’un cinéma raffiné.

Les corps amoureux

Les différentes étapes du rapprochement entre Elio et Oliver, respectivement interprétés par l’insolence de Timothée Chalamet et le sex-appeal d’Armie Hammer, sont filmées dans un cadre sensuel et voluptueux : il est constamment question du corps dans Call me by your name ; un corps capable de faire flotter les émotions, telle une attraction. Puisqu’il est aussi question de sculpture dans ce film – une des raisons pour lesquelles Oliver s’est déplacé en Italie –, le portrait des personnages et de leur fascination réciproque renvoie justement à l’envie perpétuelle de la part de Luca Guadagnino de marquer les corps, jusqu’à les fusionner et les vider de leurs sentiments. L’émoi amoureux tel qu’il est perçu dans le film mesure la proportion du corps à se réinventer, jusqu’à périr dans la peur frénétique issue d’un souvenir en perdition, comme ce bras d’une sculpture vieille du XIXème siècle que les deux amants retrouvent dans un lac aussi clairvoyant que ces regards lancés l’un envers l’autre, ou comme Timothée Chalamet qui se morfond, face au feu, dos à la neige, dans les ultimes secondes de l’œuvre.

Puisque la sculpture a ce don de provoquer le mouvement par le biais d’un objet inanimé et fixe d’autant plus qu’elle est la source d’une précision d’orfèvre, Call me by your name se regarde par le prisme d’un dynamisme qui repose justement sur une mise en scène millimétrée, à l’assaut du moindre détail capable de faire basculer la vie des personnages. Tout concorde vers l’harmonie, elle-même recherchée par les deux amants, du petit village d’à côté (où ils aiment se balader) jusqu’aux caresses en cachette en passant par les signaux d’un sentiment qui a peur d’être dévoilé. Cette histoire, même si elle est cachée, est pourvue de vitalité et filmée de toute part. Le raffinement de l’œuvre n’a d’égale que sa fascination constante pour l’illumination cloisonnée des sentiments. Et quand ils éclatent au grand jour, lorsque ces sentiments sont devenus une vérité pour eux, la grande adresse du film est de ne pas tomber dans un romantisme brusquement interloqué, mais justement de sauvegarder chaque souffle, chaque baiser, chaque caresse pour que la nature, et le spectateur, embrassent cette histoire. C’est le sens du monologue du père d’Elio dans la dernière partie du film : au même titre que le spectateur, il a été le témoin d’une chance ; et quelle chance que celle d’un premier amour !

Les corps manquent aux émotions, ou le contraire, on ne sait plus trop : c’est une échappée belle et un souvenir éveillé. Quand Elio et Oliver s’aiment, et quand ils le montrent face caméra, c’est la promesse d’une évasion aussi vive que la douleur qui en découle, mais aussi d’un souvenir. L’étrangeté de Call me by your name est de s’adresser non seulement comme une histoire du temps présent, mais aussi comme un souvenir qui se cherche, d’où la recherche constante des détails : il s’agit effectivement de capter l’instant tout lui conférant une certaine malléabilité (plan-séquence, plans fixes, longues focales…). Le jeu des sentiments – car il est parfois question d’amusement et de plaisir au détour d’un flirt avec une femme – est aussi le jeu des corps qui gravitent autour du temps qui passe. C’est bouleversant, car le sentiment d’aimer au présent est aussi immense que celui de l’amour nostalgique. Et comment ne pas retourner dans un décor aussi gigantesque que celui-ci ? Et comment ne pas se remémorer une telle histoire, et ses détails les plus croustillants ?

Autant un fragment d’un discours amoureux qu’un songe des jours d’été, Call me by your name signe la fusion – ou plutôt le triomphe – des corps et des sentiments grâce à la posture ô combien raffinée de Luca Guadagnino. Par l’émotion qu’il procure pendant et après la projection, impossible de ressortir indemne d’une telle expérience, aussi courte et intense soit-elle ; comme un premier amour et les souvenirs qui demeurent.