[EDITO] DISNEY x FOX: LA FIN DE L’ENTERTAINMENT ?

Si le rachat de la Fox par Disney est une histoire de gros sous et de promesses de films plus ou moins excitants, l’avenir de l’entertainment et de ses spectateurs n’est pas sûr de survivre à une telle grandiloquence…

Le 14 décembre 2017 sera une date à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du cinéma. L’immense entertainment hollywoodien a fabriqué l’un de ses twists les plus grandiloquents : Disney a racheté la 21st Century Fox pour quelque cinquante-deux milliards de dollars – rien que ça. Désormais, la société de Robert Iger est la plus puissante du marché cinématographique américain, devançant désormais en termes de parts de marché les studios Universal, Warner ou Sony. Consécutif aux rachats de Lucasfilms et de Marvel Entertainment, ce nouvel assaut de Disney est marqué par deux motivations. La première est la concurrence, et donc l’économie : Disney veut dépasser Netflix et son immense contenu en streaming. Et cette ambition est envisageable puisque les studios ont récupéré la saga Avatar de James Cameron, de nouveaux super-héros (les X-Men et les 4 Fantastiques) et même La Planète des Singes. Vous la sentez, cette pluie de spin-off et de démystifications aseptisées par un monde aussi consensuel que celui des bisounours ?

Et l’autre motivation – et autre fragilité dans laquelle s’aspire l’avenir du cinéma – est par conséquent de s’imposer un peu plus comme la valeur sûre d’une entreprise de divertissement dont la globalité des recettes est greffée, rappelons-le, aux succès du Marvel Cinematic Universe et de la saga Star Wars – deux franchises made in Disney. Si certains parlent d’un « empire Disney », ou d’autres par inversement d’une nouvelle perspective pour les blockbusters, tel un second souffle, qu’en est-il des spectateurs, plus-value principale et éthique du cinéma ? Parce que si le business du cinéma s’enrichit, il est bien possible que l’imaginaire proposé aux spectateurs, et même le leur, fasse le chemin inverse, dans une pure conquête anesthésiée de l’expérience sensible. C’est bien connu : les riches s’enrichissent, et les pauvres s’appauvrissent. Mais cela n’aura jamais été aussi vrai dans la réalité industrielle et artistique du cinéma. Et si Disney venait à s’emparer dans un avenir proche de plusieurs autres sociétés – l’idée est aussi superflue qu’elle mérite d’être posée tant la société de Mickey semble avoir dopé son wagon de marchandise –, alors nous, spectateurs d’hier, d’aujourd’hui et de demain, serons les pantins de cette entreprise, comme des salariés informes. Et face à une telle hégémonie économique, une seule question se pose : le sommes-nous déjà ? Ou plutôt : avons-nous été complices ?

La santé du cinéma, c’est aussi la santé de ses spectateurs. Exploiter la mission sensible du spectateur, c’est faire gagner du temps aux oeuvres, et en faire perdre à la nécessite de créer. Créer était utile. Maintenant, c’est urgent. Si le box-office mondial est devenu si important, c’est parce que le film ne dépend plus de ses spectateurs, mais de ses recettes. Alors, oui : un spectateur investit son argent personnel pour voir un film. Donc, non, un film ne dépend pas de son spectateur : car au-delà de la réalité économique, si courte soit-elle, le spectateur est avant tout une personne douée de sensibilités, quelle qu’elle soit. C’est pour ça que la critique de cinéma, basée sur une expérience et des connaissances, doit perdurer. Et c’est pour ça, surtout, que ces œuvres doivent être l’œuvre sensible de ses spectateurs. Disney a toujours su savoir quoi raconter pour provoquer nos passions : ce que nous aimons, et ce que nous haïssons. Mais à quel prix ? Celui de la radote, ou de l’autoparodie ou du recyclage paranormal : ce qui constitue à peu près 90% des œuvres de Disney. Le spectateur est pris au piège de ses passions, alors que le cinéma est censé les remettre en question de manière constante. Et à défaut de ne pas savoir s’adresser à des spectateurs en panne de découvertes, Disney est en train de briser le quatrième mur de la surenchère ; droit dans les yeux, à l’aube d’un nouvel entertainment mondial, ce mental économique prend la tournure d’un twist plutôt prévisible, sans surprise. Sauf que là, on s’en souviendra.