DIVINES – [CRITIQUE]

Lorsque deux jeunes femmes ambitieuses originaires de la banlieue parisienne travaillent pour une dealeuse respectée, cela nous donne l’une des claques cinématographiques de l’année. 

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C’est avec de belles promesses que Divines est arrivé dans nos salles de cinéma. Lauréat de la Caméra d’Or au Festival de Cannes cette année, le film de Houda Benyamina a dynamité la Croisette autant par le discours décomplexé de la réalisatrice lors de la remise des prix que par son esthétique. Loin du film social à la mode qui consiste à pointer du doigt les failles du système, Divines est l’achèvement inattendu de la fiction sociale, l’incarnation du jusqu’au-boutisme kéchichien, le contre-courant parfait du réalisme cher aux frères Dardennes et une vague imposante de cinéma sur laquelle surfent des actrices magnifiques et une mise en scène incroyable. A coup sûr, nous avons affaire à l’un des films de l’année.

Le film nous parle de l’ascension sentimentale et locale de Dounia, personnage joué par la pétillante Oulaya Amamra, toujours accompagnée de sa meilleure amie prénommée Maimouna, l’étonnante Déborah Lukumuena, avec laquelle elle forme un duo d’une splendeur qui frôle l’éternité. Point d’appui majeur du métrage, ce lien d’amitié, à inscrire nécessairement dans les mémoires collectives, vous fera passer par toutes les émotions tout en y ajoutant un geste cinématographique d’une grâce que le cinéma français peine à reproduire de nos jours : les pleurs sont d’une sincérité renversante, les rires partagés, les sentiments décuplés… L’empathie grandit et dérange, comme nos protagonistes au cours d’une course contre la réalité qu’elles chercheront constamment à dépasser, échapper, transgresser. À n’en point douter, l’élan de pureté jaillit avec une conviction qui mène à bien non seulement le dialogue entre l’écran et l’audience mais aussi celui entre deux âmes sœurs générées par la contrainte, mais guidées par une envie de vivre contagieuse.

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Autour de cette relation, Houda Benyamina se révèle comme une cinéaste qui transpire pour ses idées et qui filme le ghetto comme un terrain de jeu désuet mais riche en potentiel. À l’image de La Haine ou de L’Esquive d’Abdellatif Kechiche, le long-métrage s’empare des environnements pour raconter des histoires qui tendent vers l’intemporel, comme un voyage transdimensionnel. Souvent, le film brise les règles du film social pour faire paraître à l’écran une forme d’odyssée au cours de laquelle les péripéties se définissent par leur valeur dramaturgique. L’environnement social est en somme une toile de fond magnifique et s’incarne comme un tremplin vers d’autres environs. Stimulé par un scénario aux ressources inépuisables, Divines est plus qu’un film de deux gamines qui vivent difficilement: car elles sont ambitieuses, le film se plie à leur volonté et leur rend hommage à chaque seconde de cette course qui fonce vers l’infini des possibilités.

Si le film peut déranger par une linéarité qui s’étire certes avec efficacité mais de manière quelque peu inégale, alors que dire de ce questionnement particulièrement rigoureux de la liberté et du symbole? Consciencieusement, Houda Benyamina a la conviction qu’une vision par le bas, de maintes en maintes fois représentée au cinéma, ne doit pas être un point d’ancrage qui gouvernera la création. Non, la vie de ces gamines se construit et se propulse par l’entrechoc entre un monde d’en bas et un monde aussi aléatoire qu’accessible. Le symbole concerne non seulement l’intention cinématographique du metteur en scène mais aussi la réalité des protagonistes, guidées plus ou moins par l’idée qu’elles se font de la religion, de l’amour, de la consommation, des risques… C’est dans ce dessein aussi divin que motivant que les soupçons de liberté ne sont plus des illusions, car la liberté est bien réelle, en dépit des menaces et de l’épuisement ambiant, au-delà des frontières et de la beauté. C’est ainsi qu’il n’est pas étonnant de constater dans Divines des allures propres aux films de Nouvel Hollywood et, plus encore, du road movie, notamment dans la manière dont le film se termine.

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Choc émotionnel et cinématographique, Divines est désormais une évidence aux yeux du paysage cinématographique français mais aussi de l’art du cinéma lui-même. C’est avec ce genre de décomplexions dans la mise en scène et cette sincérité d’une telle histoire qu’une alchimie se produit, conséquence directe d’un film certes égoïste mais dont l’ancrage cinématographique est, en plus d’être incontestable, pourvu de talents et d’idées. Bien-pensant sera celui qui verra dans Divines une lueur d’espoir mais aussi un cri du coeur qui ne résulte pas d’une urgence ou d’un besoin, mais d’une profonde envie de bousculer le quotidien et les frontières, tels des coeurs sacrés.