DOCTOR STRANGE – UNE MAGIE EMPRUNTÉE [CRITIQUE]

Après avoir regroupé la majeure partie de ses héros dans le tonique Civil War, le Marvel Cinematic Universe fait un focus sur un nouveau venu : le Doctor Strange. Si son entrée en matière ne passera pas inaperçue, l’enthousiasme reste à mesurer. 

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Chaque nouveau produit tout droit sorti de l’usine Marvel est désormais un événement lorsqu’il paraît en salles, comme un autre témoignage sans concession des stratégies adoptées par Kevin Feige, le maître à penser de tout cet univers. Doctor Strange est le nouveau reflet de cette imagination devenue familière où il est question d’en faire plus, et c’est là toute sa réussite : parvenir à donner davantage tout en gardant une familiarité esthétique. Il n’est pas question ici de prouver une fois encore l’effet quotidien (et dérangeant) de la création mais, tout simplement, de mêler les petits plats dans les grands pour prouver une fois encore que ce sont aussi les idées qui font vivre les œuvres.

En surface, Doctor Strange a tout d’une bonne idée : la thématique si importante au cinéma de la magie s’adonne à un casting cinq étoiles et des promesses visuelles élégantes quoique référentielles (Inception et Matrix en tête). En profondeur, l’impression reste la même. Benedict Cumberbatch, nouvelle égérie du show-business hollywoodien venue apporter sa pierre à l’édifice, est convaincant (ou bluffant) en médecin arrogant, mais aussi en victime fatiguée puis transformée en héros naissant. La découverte du personnage, malgré une mise en route assez retardée par des passages convulsifs, parvient à trouver un rythme de croisière teintée d’un humour sournois rappelant étrangement l’ego surdimensionné de Tony Stark et d’un souci d’apprentissage qui valorise l’empathie. Dans la même ligne directrice, suivre ce personnage revient à découvrir un monde : celui où la réalité se plie en huit et dont le rapport avec le cosmos nous rappelle que tout savoir n’est finalement qu’un témoignage de notre arrogance. C’est justement dans cette découverte (presque) métaphysique que le film distillera des réponses plus ou moins efficientes : selon les situations, difficile de trouver un équilibre subtil et d’oublier qu’il s’agit, effectivement, d’un film Marvel.

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Fidèle au cahier des charges des œuvres du MCU, Scott Derrickson, le réalisateur, entreprend le ton de l’humour avec insistance, comme une seconde nature qui correspond au personnage principal, surtout quand il influence son monde, mais pas du tout lorsqu’il s’en détache, créant dès lors une forme de redondance qui a le don d’être plus gênante que la blague qui tombe à plat (car il y en a). La faveur accordée au déploiement de l’humour dans le film constitue un encrage, certes secondaires, qui empêche l’esthétique de faire cadeau de son potentiel : la familiarité devient désordonnée. Toutefois, ce n’est pas une raison pour dévaloriser l’aspect visuel du film, lequel exploite la 3D comme rarement dans le cinéma grand spectacle et propose des scènes d’action d’une rare intensité. La véritable entreprise créative de Doctor Strange réside dans le consentement des images avec les situations, et c’est souvent l’effet souhaité lorsque l’on traite de la magie au cinéma. Cela pourrait par ailleurs expliquer le rythme concassé de la première demi-heure : n’est-ce pas là une projection vers la volonté du personnage de synchroniser sa valeur avec celle d’un monde dont la portée lui échappe, histoire, aussi, de mieux retourner son monde ?

C’est là que la magie opère, autant celle représentée dans le long métrage que celle qui fait transpirer l’écran. Hormis l’humour – c’est difficile de s’en remettre -, Doctor Strange reste le récit d’un symbole, d’un personnage valorisé et innocent à travers lequel s’identifient le MCU et le spectateur pour mieux découvrir un monde jusqu’ici jamais vu, au-delà de ce qu’ils soupçonnaient croire. Alors, non, le film est clairement loin d’atteindre les limites de l’inconscient et du subconscient, mais les idées rythment le récit, donnent de la valeur aux enjeux du scénario et se hissent à la hauteur de celui qui sera prêt à les recevoir. Loin de l’égocentrisme du personnage, le film fait preuve d’une humilité bienvenue, d’une générosité à toute épreuve dont il est difficile de nier l’efficacité. C’est notamment à travers le regard sur les personnages secondaires que l’accord avec l’univers n’est pas contraint au visionnage, mais pourvu de possibilités : voir l’autre monde à travers une simple infirmière ou ressentir de la légèreté dans un univers où l’abstraction est reine. La question n’est pas de comprendre ou d’adhérer, mais d’en faire un prolongement naturel du geste cinématographique si propre à Marvel et ses créations manichéennes.

Ce n’est pas toujours facile pour une production de revenir aux bases dignes des origins story après avoir conquis son plus fidèle public lors d’un rassemblement émotionnel. Doctor Strange est pourtant l’étonnante preuve que le Marvel Cinematic Universe ne se réinvente pas, mais se prolonge avec intelligence. A travers un film efficace, généreux mais inégal et maladroit (bon sang, l’humour…), l’envie de faire du MCU une unanimité est loin d’être satisfaite, mais les intentions sont bien réelles, quoique d’une étrange magie.