Doubles vies – Blablabook [CRITIQUE]

Le nouveau film d’Olivier Assayas combine le petit milieu littéraire avec ce que le cinéma français peut offrir de pire quand il se transforme en mauvais vaudeville. Entre deux verres de vin et une salade, ça blablate, mais pour dire quoi ?

On avait laissé Olivier Assayas sur son magnifique doublé composé de Sils Maria en 2014 et Personal Shopper en 2016. Le voilà qui revient en ce début d’année avec Doubles vies qui, surprise, dépeint des personnages mal écrits, en somme caricaturaux. Des histoires de cœur et de couple mêlées à une pseudo réflexion sur le devenir de la littérature ainsi que son présent. Avec cette énième comédie de mœurs bavarde, le réalisateur se fourvoie dans les travers du cinéma français nouveau riche et longuet où tout est joué d’avance.

Blablabla

Il ressort de ce ratage un paradoxe formidable, une douce ironie produite par la prétention généralisée du film et de son scénario. Avec le personnage d’Alain (Guillaume Canet), directeur d’une maison d’édition qui refuse le manuscrit de son ami Léonard (Vincent Macaigne), c’est le rapport de notre société contemporaine avec la littérature qui est interrogé, et la forme que doit prendre cette dernière pour se réinventer. On comprend bien que les différents avis qui s’expriment sur cette question reflètent les pensées du réalisateur lui-même, il tente une réflexion contemporaine sur la parole écrite avec des dialogues pompeux dénués de mystère et de style.

La forme de la littérature est interrogée, à travers le numérique par exemple, mais jamais la forme cinématographique dans laquelle le propos est ancré. Le film souffre de cette schizophrénie paradoxale donc, moderne dans sa réflexion mais terriblement obsolète dans sa forme. Si ce paradoxe était utilisé pour créer un décalage, l’originalité serait présente et les situations savoureuses mais rien n’est retenu si ce n’est un vagabondage permanent dans des salons parisiens et des restaurants. Au fond, du mauvais théâtre filmé où tout sonne faux : le langage est profondément prétentieux, oscillant entre le naturel et le très écrit, et tellement abondant qu’il en ressort la désagréable sensation de voir un cinéaste qui s’écoute parler à défaut de penser. C’est le personnage de Selena (Juliette Binoche) qui donne la meilleure définition de ce langage lorsqu’elle le définit de « flot incontinent » dans une scène de dîner interminable où les mots se dévorent eux-mêmes et s’écroulent avant d’avoir le temps de résonner.

La note de légèreté – car c’est censé être une comédie ne l’oublions pas – passe par le montage aérien des séquences et ses transitions délicates. Quelques sous-entendus et blagounettes bien sentis, comme lorsque les personnages évoquent directement Juliette Binoche devant son personnage. Un nouveau paradoxe émerge alors : la volonté de créer du décalage pour désamorcer le sérieux ambiant ne fait que le renforcer et le rendre encore plus irritable. En abattant la carte de la subtilité comique, tout devient prévisible. A force de jouer sur les deux tableaux pendant quasiment deux heures, le film devient épuisant et sans saveurs, constamment replié sur lui-même comme la totalité des personnages du film qui nous escortent tranquillement dans leur ennui mortel de bourgeois bien installés dans leurs fauteuils. Les moments les plus rafraîchissants passent par le personnage de Léonard, être sensible et un peu paumé qui s’inspire de sa vie pour écrire ses romans, et celui de sa femme Valérie (Nora Hamzawi), qui pour le coup offre un contrechamp intelligemment décalé, comme à l’écart de cette mêlée bavarde.

Leurs échanges pointent par instants une sensibilité, un tragique et un comique que le film tente désespérément de porter mais qui ne s’expriment jamais vraiment dans ce chaos où personne ne s’écoute. Assayas a montré plus d’une fois qu’il savait filmer l’invisible et les sentiments avec une délicieuse vision quasi poétique. Espérons que ce faux pas ne soit pas le début d’un cycle.