[EDITO] QUE NOUS DIT LE MARVEL CINEMATIC UNIVERSE ?

Le 25 avril 2018 est une date à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du Marvel Cinematic Universe: Infinity War arrive dans nos salles et fête les dix ans de l’univers super-héroïque. Première tentative de bilan. 

Une époque. Le Marvel Cinematic Universe traverse, incarne et influence notre époque contemporaine, autant dans la société que sur les écrans de cinéma. Et la sortie de Infinity War ce 25 avril semble même incarner la fin d’une époque ; mais laquelle ? C’est en tout cas ce que martèle toute sa promotion pilotée par Kevin Feige, démiurge parmi les démiurges du cinéma et donc d’une certaine idée de l’instantanéité, de la pulsion de créer, encore et encore, en mode fusée. Dix années de truffes super-héroïques – « tout a mené jusqu’ici » – que l’on aura autant aimées que détestées. Ce goût qui gonfle et notre époque obèse qui continue de grossir appartiennent à ce mode de penser du « toujours plus », car notre lien à l’instantané – par la faculté désormais commune de capter l’instant et d’intégrer ce geste à nos modes de vie – prouve une chose : il enfle parallèlement quand bien même il donne l’illusion de s’interrompre. Non, Infinity War n’est pas la fin ; mais rien de plus qu’un recommencement, qu’un passage de témoin, qu’une grande éternité que s’approprie l’entreprise de l’instantané, car c’est l’époque qui le veut. Une fois la story publiée, plus rien ne se passe, mais elle reste sur les réseaux pendant vingt-quatre heures, puis j’en fais une autre, car des gens regardent. Fin de discussion sur Messenger, mais les messages restent – et sont même observés. On paraît déjà vieux jeu en répétant cela. L’enchaînement, la sauvegarde, la captation, la surveillance du public pour prospérer : Marvel en sait quelque chose. Dix ans, dix séries, dix-huit longs-métrages, une centaine de personnages… Marvel est comme nous, et vice-versa – l’union fait la force. Et récemment Black Panther, œuvre la plus humaniste de l’univers, qui par son utopie démonte les problèmes politiques comme lorsqu’on passe d’un niveau à un autre dans un jeu vidéo (avec plus au moins de difficultés). De cette composition, chacun y trouvera son goût, et donc son rapport à l’époque qui est la nôtre.

Ambivalence

Véritable phénomène, Black Panther est devenu en l’espace d’une dizaine de semaines le Facebook (effet de masse instantané) capable à la fois de rassembler la communauté noire aux Etats-Unis, et par cet élan politique d’ajouter une plus-value au mouvement général de l’univers : celui de l’héroïsme. Le problème posé par le geste créatif de Marvel va donc plus loin ici, malgré une ambivalence. Qu’on se le dise, Black Panther traverse génériquement toute une Histoire des Etats-Unis sur la question « raciale » qui la secoue depuis maintenant cinquante ans, et ici par le prisme unique du super-héros. Cet ours majoritaire – ce super-héros qui attire tous les regards, et par conséquent un tel phénomène y compris au box-office – aux agissements accessibles et indicatifs provoque une ambivalence par ailleurs entraperçue dans le Civil War des frères Russo : ce film ne parle pas ni d’une guerre civile ni d’une potentielle prise de conscience des populations civiles, mais bien d’une ambivalence super-héroïque rythmée par un grossissement du trait, c’est-à-dire cette politique générique. Les super-héros sont-ils désormais pensés comme de simples bêtes de foire qui remplissent notre quotidien plutôt que de le sauver ? Mais nous sommes en droit de se poser cette autre question : et si le débat politique était remplacé par le temps de l’action ? Le propos du Marvel Cinematic Universe n’est pas de proposer des héros, mais de les enchaîner, et de les rassembler – comme des story. Pas le temps de niaiser. Cela pose autant un problème éthique sur le plan cinématographique – comment les personnages, par le prisme de la fiction, existent-ils indépendamment ? – qu’une ambiguïté sur le plan politique. Parce qu’aujourd’hui créer une story semble démocratiser le droit de créer, pourquoi alors ne pas rapprocher le Marvel Cinematic Universe sur ce qui pourrait lui donner une aura davantage politique, quand bien même la trilogie Spider-Man de Sam Raimi s’attelait à résoudre les traumatismes post-attentat du World Trade Center ?

L’univers Marvel se révèle finalement dans le vide de notre époque. Et finalement, le génie de Black Panther, pur film d’époque, est qu’il confronte le Marvel Cinematic Universe à son ambivalence politique et créative. C’est en ce sens que le film de Ryan Coogler est à la fois si différent, par l’agencement d’une politique, quelle qu’elle soit, dans une création Marvel, et si commun aux autres œuvres de l’univers : devenir un héros, rapport à l’héritage, la question des nouvelles technologies… Notre volonté ici n’est pas d’excuser le manque d’éthique par le trop-plein de la création (instantanéité, sauvegardes, grossissement) et les motifs qui la parcourent, mais de faire comprendre comment l’agencement des deux peut à la fois faire subir un univers alors qu’il parvient à lui donner une aura qu’aucun d’entre nous semble capable de mesurer – mais où cela nous mènera-t-il ? En somme, le Marvel Cinematic Universe est plus un paradoxe réflexif qu’un danger dans l’Histoire de la création – jamais le cinéma n’aura construit une telle saga. Parce que c’est une œuvre qui persiste, les spectateurs qui lui sont rattachés – et même détachés – semble remplis, comme caressés, par chacune de ses créations. Mais n’oublions pas que c’est aussi dans l’urgence de créer, et non dans la programmation, qu’un tel investissement est récompensé – dans le registre de la saga, les vingt-cinq années qui séparent deux saisons de Twin Peaks comme ils provoquent une fracture dans la fiction, ou le retour de Star Wars par nécessité de nostalgie et de nouveauté. Ce qui nous est dit, au fond, c’est que la fin n’est qu’illusion – car il y a des répercussions –, que la fiction peut sauter des étapes pour se donner la propre illusion de se sublimer et que l’agencement total des créations déboule sur un gigantisme insondable tandis qu’il reflète notre époque. Certains diront « marasme », d’autre « génie ». Le Marvel Cinematic Universe nous dit tout cela : c’est-à-dire presque rien, et c’est tant mieux.