LES GARÇONS SAUVAGES – LIBÉRER LES GENRES [CRITIQUE]

Pour son premier long-métrage, Bertrand Mandico libère les frontières entre les  genres. Par son iconoclasme léché, Les Garçons Sauvages est une exploration baroque pleine de vitalité ; un cinéma épris d’imaginaire. 

Un mélange de lait et d’acide, telle est l’alchimie que Les Garçons sauvages met en image durant plus d’une heure et demie placée sous le signe d’une liberté créative, par l’envie de créer, et créatrice, car la création parfume ce film – loin de l’imbroglio Annihilation dont les intentions tendent à quelques similitudes ici. Adepte de courts-métrages expérimentaux, Bertrand Mandico conte ici dans son premier long-métrage une aventure guidée par la découverte du monde et de soi. Par son appropriation des plus beaux récits d’aventures – on pense à Jules Verne jusqu’à Robinson Crusoé en passant même par L’Île au trésor – et sa fascination aussi inventive qu’élogieuse pour les prises de vues issues des plus jeunes âges du cinéma, Les Garçons Sauvages est un film qui a un toucher et une odeur si particuliers que la liberté des images altère le visionnage comme la vie de ces cinq garçons dont l’identité, d’abord violente avant de progressivement tomber dans l’oubli, fait émerger une forme d’espérance quant à la condition humaine et son rapport au cinéma. Plus qu’une aventure, une expérience sensorielle divinement bizarre.

Formes mystiques

En partant du diktat sexuel issu d’un filmage régulier mais impropre des organes – conçus comme des McGuffin qui, en plus d’encadrer le récit, font l’objet d’une mystique quasi-informe –, le choix de Mandico est de briser toute consonance avec la masculinité et la féminité : ces cinq garçons sont incarnés par cinq actrices, jusqu’à ce que les personnages se transforment en femmes. Le but n’est pas ici de faire l’éloge du masculin ou du féminin ni même du troisième sexe, mais de jauger l’entre-deux pour mieux fabriquer les répercussions : la dégression de l’instinct prédateur des hommes accouplée à la naissance, toujours très contemporaine, des mouvements féministes – tout en sachant que la seconde se bat contre la première. La mystique du sexe (du corps) et des opinions (de l’âme) provoque le grand écart des formes non seulement par le prisme du sensoriel – les émotions divaguent en même temps que ce vaisseau marin –, et par conséquent de l’esthétique elle-même : ainsi pourrions-nous parler d’état second du cinéma quand bien même celui-ci est revisité un peu partout par Bertrand Mandico.

C’est là que la mystique du film devient informe. Mélange des genres, mélange des formes : il est toujours question de transiter d’un état vers un autre dans Les Garçons sauvages. Autant les masques que portent les cinq garçons (au début du film) que l’île dans laquelle ils atterrissent font l’état d’une déformation, d’une appropriation mise en place par le réalisateur d’un monde dérivé, comme une hallucination : de la chair des plantations jusqu’à la sauvagerie du crime pour lequel ils sont condamné(e)s jusqu’aux corps qui, évidemment, se transforment – le film effleure même la notion de double. Le filmage tel que nous le conçoit Bertrand Mandico se présente sous des perspectives complètement transgressées (imagerie informe) et d’un travail sur les sons (Mandico lui-même s’est chargé du design sonore) qui rendent au cinéma à la fois toute sa beauté, par l’hérésie de l’univers filmé, sa superficialité et ses origines : pluie d’hommage au cinéma muet, noir et blanc quasi-primitif et floraison des mythes d’antan (autant littéraires que cinématographiques). Laissant peu de place à la contemplation, Les Garçons Sauvages est le fruit d’un travail sur la liberté de créer capable d’assujettir l’esthétique du cinéma avec la morale de ce dernier.

Vue pleine de sensibilité sur le cinéma et ambition formelle d’un seul homme, Les Garçons Sauvages s’impose rapidement comme un incontournable qui, au-delà de sa place dans l’esthétique des genres en France, repositionne toute une pensée à propos du visionnage. Comme ce voyage chaotique à bateau, comme ces couleurs qui jaillissent du noir et blanc, telle une forme qui aime transiter, se transforme et s’épure de toute part, l’œuvre atteint la beauté par sa quête parallèle d’un cinéma épris d’imaginaire.