If Beale Street Could Talk – Mal de forme [CRITIQUE]

Il nous avait éblouis avec Moonlight : Barry Jenkins revient avec l’adaptation du roman de James Baldwin. Hélas, le cinéaste ne renoue pas avec la même grâce, plombé par des effets de formes beaucoup trop arrondis.

Quand Barry Jenkins arrive sur la scène internationale avec le très puissant Moonlight, on sent qu’un vent d’air frais souffle sur la représentation du mélodrame au cinéma. Il est ici doublé d’une connotation politique qui, en plus d’être autobiographique, aspire un caractère universel – le film a par ailleurs été récompensé de l’Oscar du meilleur film. Jenkins voit donc l’opportunité, par l’adaptation du classique de James Baldwin, grand auteur engagé contre les distinctions raciales et de classes, de prolonger ce geste avec une évidente conviction. Seulement, le style jeune mais déjà très marqué du réalisateur semble souffrir d’ambitions formelles qui à fortiori concassent la force de son propos politique. Si Beale Street pouvait parler, contrairement à Moonlight donc, rentre dans le rang par cette tentative un peu désespérée et très vite ennuyeuse de creuser partout, tout le temps et par des moyens de forme assez vaniteux dans la vaste thématique de la justice sociale.

L’émotion par la forme

Comme dans son précédent film, Barry Jenkins part d’une histoire d’amour et la raconte à travers différents niveaux de lectures temporels. Dans Moonlight, ils s’enchaînaient (enfance, adolescence et âge adulte), dans Si Beale Street pouvait parler, deux temporalités se mélangent : avant l’arrestation (zénith de la rencontre) et pendant l’incarcération (moment de la séparation) – avant d’ajouter un troisième niveau à sa toute fin par l’intermédiaire d’une ellipse temporelle. Outre le mélo politique pétri de formes, l’autre ambition du cinéaste, plus discrète et plus intéressante, est le travail du temps sur les histoires qu’il raconte. La malléabilité du temps est ce qui forge la tension dramatique de son film : il y a le temps des touchers et des étreintes, puis celui où l’amour des personnages est soumis à rude épreuve par cette injustice qui les sépare – sans parler des personnages secondaires, eux aussi pris dans cette spirale. C’est dans cette perspective du contrechamp temporel des sentiments et des situations que Si Beale Street pouvait parler est particulièrement efficace.

Seulement, Barry Jenkins déploie toute son énergie dans une mise en scène parfois outrancière des émotions, voulant à tout prix réparer les injustices, mais rompant avec le pacte poétique de ses personnages et de leurs sentiments. Si le compromis du politique mérite louange, le film en souffre particulièrement car il fonctionne par à-coups, ce qui le rend aussi inégal qu’ennuyeux. La forme n’est plus qu’un vaste exercice de style, elle se rapproche certes des errances sentimentales du cinéma de Wong Kar-wai, sans la poésie et la grâce du romantisme qu’elles impliquent : on se regarde, on se suit et on se sépare, surtout, dans la valse des émotions. Pas aidé également par des interprètes très plats – les scènes de parloir, où on a l’impression d’assister à un casting –, on voit toute la difficulté du film à tenir ses personnages dans le vaste étendard de formes éminemment politiques (jeu sur les contrastes et les couleurs, ralentis sur un flic…), contrairement à Moonlight qui reposait sur un parcours sentimental clair-obscur très simple qui se passait parfois de mots (la scène sur la plage et les deux séquences finales). Si Beale Street pouvait parler, les sentiments seraient plus forts que tout, encore faut-il croire en eux jusqu’au bout.