Le Joker de Todd Phillips est un film paradoxal qui, malgré ses belles idées, laisse un goût d’inachevé : sous ses airs de production indé, il reproduit ce qu’il aurait dû éviter, telle une promesse non tenue.
Lion d’Or à la Mostra de Venise, huit minutes de standing ovation, un Joaquin Phoenix apparemment époustouflant (il l’est), la promesse de voir quelque chose de différent… Dire que Joker est le film le plus attendu de cette fin d’année est un euphémisme tant il a cristallisé les attentions de tous depuis de nombreux mois. Le réalisateur Todd Philips (Very Bad Trip) en est pour quelque chose entre ses déclarations sur la difficulté à monter le film, ses références à Martin Scorsese et Chantal Akerman ou ses pics lancées aux films du MCU. L’attente était donc de taille avant de découvrir cette histoire non pas du Joker mais d’un « homme qui devient le Joker » comme le nuance assez habilement le cinéaste. Que fait donc le film ? Il joue avec l’image. Celle du personnage, bien sûr, avec la question de sa représentation, mais aussi, plus largement, celle du film et de la société. De cette image naît, parfois, un rire inattendu qui n’est jamais gratuit ou facile puisqu’il est angoissé. Ce même rire que nous pouvons pousser face à notre écran de télévision et sa déferlante d’actualités. Face à l’image.
Souriez, vous êtes filmés.
Le Joker, de son vrai nom Arthur Fleck, est un homme paumé, un clown de rue qui se rêve humoriste de stand-up et dont l’instabilité émotionnel s’exprime par des crises de fous rire. Il s’agit alors de le suivre dans sa longue descente vers la folie psychique et criminelle entre les conversations avec sa thérapeute et les différentes humiliations qu’il subit. Todd Phillips détourne ce que l’on croit savoir du personnage, son rire si particulier est présent dès le début du film et n’est pas le résultat d’un certain délire, mais son point de départ. Le cinéaste s’éloigne des comics pour mieux se concentrer sur sa figure centrale, il fabrique véritablement son Joker. Ce n’est pas uniquement un cinéaste face à son personnage qui est questionné ici mais aussi la manière dont ce dernier se présente face à la société dont le représentant implicite pourrait être Murray Franklin, ce présentateur de talk-show interprété par Robert De Niro et qui n’est pas sans rappeler le rôle de son camarade Jerry Lewis dans The King of Comedy, le chef-d’oeuvre de Martin Scorsese.
Car oui, le film présente une critique acerbe de la société et de ses images véhiculées en boucle sur les écrans. Arthur Fleck et sa mère sont obnubilés par le show de Franklin et cet écran de télévision par lequel tout passe, du discours des politiques aux divertissements grand public. Mais alors, de quoi le Joker est-il le nom ? La société peut être, le pouvoir sans doute. C’est ce même pouvoir qui fabrique le Joker. Le côté politique du film est léger mais véhicule cette idée et il n’y a qu’un pas pour que certaines séquences fassent penser à l’atmosphère sociétale actuelle comme lorsqu’une personnalité politique en route pour devenir maire de la ville prononce cette phrase qui lui attirera les foudres et les manifestations de la population : « Vous êtes tous des clowns ». Le clown, celui qui est toujours heureux, celui qui rit et qui encaisse tout en gardant le sourire, mais, derrière son masque, pauvre et délaissé par le pouvoir. En somme, il est un Joker en puissance.
La bonne blague
Le film intériorise cette question de l’image en l’appliquant à lui-même. Le côté vintage et le style de certaines séquences apportent une esthétique télévisuelle comme pour enfermer encore un peu plus ce Joker dans son propre délire, celui de la télévision et de la gloire, lui qui se rêve en grand humoriste. Oui mais voilà, s’il est indéniable que le film présente certaines qualités, le travail sur l’espace avec les différents trajets du personnage dans la ville est à souligner car souffrant de certaines facilités qui parasitent quelques motifs importants, à commencer par la superbe prestation de Joaquin Phoenix. Avec un tel acteur, il est facile de tout faire passer dans l’image, de raconter mille mots en un regard mais Todd Phillips s’acharne à surligner ses intentions, qu’elles soient dramatiques ou légères, par une succession de sons et de musiques largement dispensables. C’est cette même facilité qui se retrouve lorsque le cinéaste, peut être par peur d’accompagner son personnage jusqu’au bout, s’oblige à expliquer bien en détails ce qui se passe à l’écran, comme lors d’une belle séquence qui prouve encore un peu plus la folie du Joker et que nous nous garderons bien de dévoiler ici.
En prenant ainsi le spectateur par la main, le film agit de la même manière que les grosses productions du genre que le réalisateur lui-même dénonce. Il est ainsi dommage qu’un film qui accorde tant d’importance à l’image et à sa signification, par le traitement de la violence également, ne croit pas assez en elles. L’enseignement serait alors : il faut se méfier des images, et celles du Joker en font malheureusement partie.