Le premier film de Mona Chokri n’est pas exempt de défauts, mais surprend par sa sincérité et sa façon d’envelopper les enjeux d’une crise personnelle dans une mise en scène très visuelle.
La Femme de mon frère est construit autour des passions du personnage de Sophia, interprétée par Anne-Élisabeth Bossé. Le film se construit autour d’une relation frère-sœur et de la jalousie qu’elle entraîne, mais surtout autour du mal-être de son personnage principal. Sophia semble en effet être la somme de toutes les angoisses d’une certaine jeunesse sur-diplômée mais sans horizons. Le portrait dressé par Monia Chokri, révélée chez Xavier Dolan pour un rôle dans Les Amours Imaginaires, n’a de sens que dans l’opposition de Sophia avec son frère (Patrick Hivon). Les deux comédiens sont brillants et sincères dans leur complicité frère-soeur. Ils sont entourés d’une galerie de personnages secondaires colorés : des universitaires névrosés de la scène d’ouverture à leurs parents divorcés-mais-encore-plus-amoureux-depuis en passant par leurs amis et rencontres. Le casting semble avoir été fait dans un paquet de bonbons acidulés, et ce même jusqu’à oublier toute mesure : on y remarquera notamment Niels Schneider, carte piège de tout bon casting…
Tragicomédie et bienveillance sur fond de Pavane
La crédibilité et l’honnêteté de la relation de Sophia et Karim (Bossé et Hivon) à l’écran viennent également de la qualité de l’écriture des dialogues, telle une gigantesque joute verbale. L’héroïne n’a pas sa langue dans sa poche, mais elle n’est jamais dans l’excès, ses saillies vocales s’enchaînent avec naturel et restent toujours cohérentes avec son personnage. Le véritable intérêt du long métrage se trouverait presque dans tout ce qu’il dit de secondaire et la façon dont il le distille à travers ses scènes. De sa réflexion sur le monde qui nous entoure lancée par un père communiste de la première heure à l’exploration des relations humaines dans toutes leurs formes, Mona Chokri dresse un portrait doux-amer du XXIème siècle. Elle saisit avec justesse un enjeu difficile à représenter, le malaise des candidats au bonheur dans un monde à l’avenir incertain ; elle le fait avec une grande franchise, comme le récent Lady Bird (Greta Gerwig, 2018) le faisait par exemple pour l’adolescence.
Seulement, La Femme de mon frère n’est pas exempt des défauts formels auxquels succombent une grande partie des premiers films. D’abord, le rythme du métrage n’est pas tout à fait maîtrisé : Chokri semble se perdre aux deux tiers du film, puis se lance dans un habile mais tardif virage narratif, tout en émotion. Cela ne nuit pas réellement au film mais ses 1h57 sont donc loin d’être égales. Ses errances stylistiques ne sont ensuite pas sans rappeler celles du jeune Xavier Dolan, à la différence près qu’elles ne distancent jamais la narration du film. Chokri fait plutôt preuve d’une grande créativité et d’une véritable recherche esthétique au sein de ses plans. En somme, une certaine passion du visuel pop (on pense notamment à cette clinique acidulée) mais sans que cela prenne le pas sur l’histoire (ou à peine). Monia Chokri succombe à quelques maladresses de style (presque trop facilement : on pourrait croire qu’elle le fait en toute connaissance de cause). À titre d’exemple, lors d’un repas – certes animé – elle multiplie les angles de caméra avec frénésie. Ce serait justifié dans le contexte de la scène, mais certains cadres posent problème : que dire de ce plan où les personnages sont filmés à travers la table en verre ? La réalisatrice en fait parfois trop, ce qui alourdit son propos et éclipse le réalisme de son sujet. Restent un tourbillon d’idées colorées et un léger sourire sur les lèvres du spectateur.