Ma Vie avec John F. Donovan – Le don de soi [CRITIQUE]

Nous avons eu la chance d’assister à l’avant-première de Ma vie avec John F. Donovan au MK2 Bibliothèque à Paris. Ses subtils entrelacements nous ont simplement bouleversés.

Le nouveau film de Xavier Dolan trace plusieurs histoires doubles. D’abord pour le réalisateur lui-même. Il y a la conception longue, plus de trois ans, et compliquée qui a marqué personnellement le réalisateur – Jessica Chastain coupée au montage, première œuvre anglophone synonyme d’étape importante dans sa carrière, critiques américaines assassines. Et Xavier Dolan offre à travers ce John F. Donovan sa propre introspection, de lui-même (son enfance, sa carrière…) mais aussi, et étrangement, de son propre style (nous y reviendrons). L’implication professionnelle et quasi autobiographie du réalisateur dans cette œuvre – fascinante, on en convient, avant même sa sortie en salles – s’ajoute à la structure équivoque du récit. Le film aborde la relation épistolaire d’un jeune garçon de 11 ans, Rupert, avec un acteur star de la télévision, John. Il y a d’abord le double niveau de lecture qui émane de cette relation – point de vue du jeune homme, et de Donovan – et également une double temporalité : le film se focalise sur le « pendant » de cette relation et sur l’après, sur les enseignements tirés lors d’une entrevue avec une journaliste, d’abord sceptique par cette histoire, mais qui finira par écouter le protagoniste principal du récit.

Urgence

L’enjeu de ces doubles inclinaisons : la croyance. La journaliste doit-elle croire à un pur feuilleton, digne d’une fiction, issue de la presse people ? Devons-nous croire le jeune garçon qui prétend entretenir une relation avec un star de la télé ? Et à fortiori, doit-on croire en Xavier Dolan – et plus largement un cinéaste dévoué à son histoire – à travers ses images ? La réponse dépend bien entendu de l’expérience qu’on en tire, mais s’il y a bien un geste unique, singulier, qui relie toutes ses duplications – qui concernent aussi bien les niveaux de lecture que les mères dolaniennes et les lettres manuscrites – et qui réponds à ces croyances, c’est bien le don de soi. Celui d’un enfant pour son idole, d’une star pour lui répondre et un homme dont il est tombé amoureux, d’une mère envers son fils, du corps pour une musique, d’un cinéaste envers ses images. Ma vie avec John F. Donovan, grâce à cette perspective, est une œuvre ultra-contemporaine par cette capacité à jauger toutes les nuances d’une identité que l’on espère libérée, mais qui bute face aux mentalités encore rétrogrades d’aujourd’hui (pénalisation de l’homosexualité, harcèlement à l’école…). Les vies de Rupert et John, comme le dit le jeune garçon à un moment du film, sont liées par cette concordance des destins, des identités, intimement liés aux angoisses du contemporain, mais aussi par cette envie de s’en défaire, coûte que coûte, pour vivre, enfin. Le don que l’un fait à l’autre – ces lettres, et le témoignage qui s’ensuit – est la solution à cette aspiration au bien commun, aux passions qui les délivrent.


Et c’est fascinant de voir un cinéaste aussi jeune et talentueux que Xavier Dolan se dévouer autant pour ses images. Bien sûr, on le sait sensible aux questions de genre, aux relations maternelles, aux rêves qui se dessinent… Dans John F. Donovan, le cinéaste renoue bien sûr avec ses tics de cinéma mais avec une maturité, une force, une audace et une justesse qui rend le film assez différent de tous ses précédents. Exemple parfait avec ce gosse qui, par un langage irrationnellement raffiné, donne une étrange complexité au propos de Dolan. Mais plus que l’assurance du ton ou d’un langage, le film recherche constamment l’urgence. Et c’est par la captation du moment, le plus dur (une crise sur un plateau de tournage) comme le plus doux (un regard maternel), que le cinéaste arrive à saisir l’essence de son cinéma, le rendant plus authentique, plus juste, plus vrai. La forme, comme dans Mommy, participe aussi bien à l’épanouissement qu’à la difficulté d’être des personnages, et par conséquent à la teneur du récit.

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Sorte d’épure de son style, John F. Donovan apparaît donc un comme un bilan d’étape chez le réalisateur, comme s’il revisitait ses formes, et les personnages qui vont avec, pour mieux les comprendre, et mieux les utiliser. On le redit : beaucoup de choses vues dans ce film sont aussi dans ses anciens, mais pas pour le même but, pas avec une aspiration aussi brute du contemporain. On le savait engagé dans ses formes, maintenant Xavier Dolan s’épanouit par la capacité à décortiquer ses personnages dans une optique qui va bien au-delà de leur fiction. C’est ainsi, par la force des convictions, ce don de soi, et sur à peu près tous les plans, que tout se libère, se duplique, le film y compris.