MASTER CLASS DE QUENTIN TARANTINO ET PARK CHAN-WOOK

Hier soir s’est terminée la huitième édition du Festival Lumière de Lyon au cours de laquelle Quentin Tarantino et Park Chan-Wook ont assuré, chacun de leur côté, une master class. Ça tombe bien, on y était ! Récit de ce périple lyonnais.

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Mercredi 12 octobre 2016. La nuit commence à tomber, l’Auditorium de Lyon voit la foule se presser vers lui ; il se remplit tout doucement mais sûrement. Le public, très jeune, trépigne d’impatience à l’idée de rencontrer l’une des personnalités les plus reconnues de l’histoire du cinéma, à savoir Quentin Tarantino. Juste avant l’entrée en scène du réalisateur de Pulp Fiction, c’est Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes et président de l’Institut Lumière, qui se charge de présenter le contenu de cette soirée : retourner en 1970 et traiter de la transition entre l’Âge d’Or hollywoodien et le Nouvel Hollywood. C’est donc en tant que cinéphile et non en cinéaste que Tarantino, après être rentré telle une rock star sur la scène de l’Auditorium, vient nous présenter sa passion effrénée pour une période artistique aussi méconnue qu’intéressante.

Tarantino offre sur scène une véritable prestation d’acteur, n’hésitant pas à se lancer dans des tirades dont la gestuelle, prononcée, et la voix témoignent bien de sa passion pour le cinéma. Les noms des films débitent à vitesse grand V, les anecdotes pleuvent et, dans un silence de cathédrale, le réalisateur parle comme un maître transmet à ses élèves. Les questions de Thierry Frémaux sont aussi efficaces que la traduction de Massoumeh Lahidji, valeureuse face à la loquacité de Tarantino, engendrant plusieurs applaudissements au cours de la soirée. C’est aussi l’occasion pour ce dernier de distiller quelques traits d’humour et des annonces, affirmant qu’il a beaucoup de projets en tête, mais aussi, et c’est plus surprenant, l’envie de traiter de l’année 1970 à travers un podcast de quatre épisodes ou un documentaire monté par ses soins – comme a pu le faire Martin Scorsese concernant l’histoire du cinéma américain et italien. Alors que les panneaux d’affichage situés à l’extérieur de la salle précisaient que l’intervention ne durerait pas plus d’une heure, nous nous sommes retrouvés nez-à-nez avec le réalisateur de The Hateful Eight pendant plus de deux heures. Bonheur.

« Ne vous demandez pas si les films sont bons ou mauvais. Des films qui peuvent ne pas vous paraître réussis peuvent se révéler fascinants ! »

Après plusieurs recommandations filmiques et littéraires – dont le Pictures of a Revolution de Mark Harris qui l’a grandement aidé dans sa recherche – et des conseils de visionnages intéressants, Tarantino nous présente le film qui, dès qu’il quittera l’Auditorium, nous sera projeté en copie d’origine 35mm. Il s’agit de M.A.S.H., Palme d’Or 1970 réalisé par Robert Altman, réalisateur que Tarantino « n’aime pas » mais dit « respecter ». Avant de nous présenter les grands aspects du métrage et de nous laisser un souvenir impérissable de son intervention dès qu’il quittera la scène, Tarantino nous partage un amusant souvenir de son enfance :

« J’avais sept ans lorsque je suis allé voir « M.A.S.H. » en salles. J’étais, évidemment, accompagné par ma mère et mon père. Je m’en souviens parce que les gens riaient nerveusement, ce n’était pas un rire commun comme celui qu’on exprime et ressent devant une comédie classique. Grâce au souvenir de cette sensation, je me rends vraiment compte de comment les films sortis la même année que « M.A.S.H. » ont changé les mentalités non seulement du public, mais aussi des artistes. Du coup je suis allé le voir cinq fois en salles, toujours accompagné par mes parents. »

Le lendemain, c’est la pluie qui s’invite à la deuxième étape de notre séjour au Festival Lumières : direction la Comédie Odéon pour la master class de Park Chan-Wook, réalisateur coréen connu pour nous avoir offert Old Boy, film culte vainqueur du Grand Prix au Festival de Cannes 2004 dont le jury était présidé par… Tarantino himself ! La transition est parfaite, il n’y a plus qu’à écouter l’étonnante musicalité de la langue coréenne que nous notifie Thierry Frémaux, fidèle au poste, lequel nous offre une reproduction ratée mais drôle de l’éloquence coréenne. Une fois encore, le public, bien plus mince que la veille, est jeune et curieux.

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Après une rétrospective vidéo de sa carrière filmique, Park Chan-Wook traverse la salle de théâtre avec un grand sourire, accompagné d’une traductrice et de Yves Montmayeur, critique et cinéaste chargé d’animer l’événement, en compagnie desquels il rejoint la table située sur scène. Comme pour Tarantino, le public se lève et applaudit longuement un homme dont la sérénité est facilement devinable. Pour Park Chan-Wook, il a longtemps été question de l’intimité de son cinéma. D’où viennent ses films ? Sa fille regarde-t-elle ses œuvres ? Quelle est la nature de sa cinéphilie ? A travers ses réponses, le réalisateur du tout frais Mademoiselle, présenté en avant-première lors du festival et dont la sortie est fixée au 1er novembre prochain, livre son point de vue sur les thématiques qui guident une grande majorité de ses réalisations, notamment l’humanité et la violence ; deux dimensions qui, selon lui, sont intimement liés :

« Il y a beaucoup d’éléments très violents dans mes films, et je fais toujours attention à ne pas en abuser. Je vous assure que je ne m’amuse pas à utiliser ces éléments ! Je pourrais plutôt dire que je n’évite pas les sujets violents. La violence est un sujet qu’on ne peut éviter quand, comme moi, on écrit sur les humains, la société. Je pense juste que les êtres humains peuvent être élégants, comme ils peuvent être très violents, et je veux décrire les humains avec violence et cette élégance. »

L’élégance, Park Chan-Wook en était l’incarnation pendant près d’une heure et demie, notamment lorsqu’il a dû répondre aux questions du public, avant qu’il ne quitte la salle. Il eut notamment affaire à une jeune étudiante en cinéma qui, micro en main, révélait au réalisateur sa farouche volonté d’écrire un mémoire sur la Trilogie de la Vengeance. Espérant recevoir des pistes d’interprétations, la jeune femme a reçu cette réponse, d’une classe affolante :

« Ne demandez jamais à un réalisateur de s’expliquer sur son travail, car il est le moins bien placé pour analyser objectivement ses œuvres. »

Autant dire que ces deux rencontres nous ont permis non seulement de découvrir les personnalités radicalement différentes de ces deux cinéastes, mais aussi d’étudier combien leur passion pour le cinéma est une donnée importante de leur travail de recherche et d’artiste. Le cinéma, ça se vit ; et c’est avec cette formule en tête que nous quittons Lyon, toujours sous le déluge, mais avec un immense sourire.