Noah Howard: Live In Europe – La réédition audacieuse signée Sconsolato

Proche des genevois de chez Bongo Joe, Sconsolato est un label naissant et indépendant qui nous a régalé d’une réédition de ‘Live In Europe Vol. 1’, disque du trop peu célèbre saxophoniste Noah Howard. Une écoute jazzy aux temps de ce printemps entre deux murs.

Noah Howard, cinquième en partant de la gauche, devant le Studio We en 1973 © Thierry Trombert
Noah Howard, cinquième en partant de la gauche, devant le Studio We en 1973 © Thierry Trombert

Noah Howard était de ces musiciens de jazz influencés par John Coltrane et Albert Ayler, ayant participé au mouvement dit du « free jazz », une appellation pourtant réductrice d’un genre vaste aux styles et influences multiples, surtout pour ce saxophoniste. Né en 1943 dans la ville de la Nouvelle-Orléans, berceau historique de la musique jazz, Noah Howard a grandi baigné dans cette culture. Enfant des 50s, la musique était partout, racontait-il dans une interview à The Wire, « Tout le monde connaissait Louis Armstrong ». Personnellement. Howard a vécu de plein fouet cet âge d’or du jazz et la naissance de l’héritage qu’on lui connaît aujourd’hui. Pour lui, tout a commencé à l’église, chantant dans les choeurs de gospel, avant de s’essayer à la trompette (admirateur de Miles Davis et ses pairs). Mais ce n’était pas vraiment fait pour lui, alors il s’est tourné vers le saxophone avec lequel il fera sa carrière. Le parcours de Noah Howard est long, ses rencontres et collaborations diverses (Dewey Johnson, Archie Shepp, Sun Ra, …) et les genres auxquels on pourrait le rattacher nombreux. Il a joué dans le monde entier et a même créé son propre label AltSax en 1971, où il publia la plupart de ses disques, avant de diriger un club de jazz à Bruxelles dans les années 80. Faisant ainsi partie d’un mouvement à l’impact culturel fort.

Le label Sconsolato a donc décidé de rééditer ce disque de 1975. Un hommage pour cet artiste soudainement décédé en 2010. Live in Europe Vol. 1 qui n’a pourtant jamais eu de suite malgré la carrière prolifique de Noah Howard et niche les enregistrements d’une tournée à travers l’Europe comme son titre l’indique. Une tournée durant laquelle il était accompagné de Takashi Kako au piano, Kent Carter à la contrebasse et Muhammad Ali et Oliver Johnson s’alternant à la batterie. Un disque à l’atmosphère qualifiée « uncanny » par Sconsolato, unifiant cinq compositions au total, faites d’improvisations et de répétitions déroutantes. Des ambiances distinctes qui s’accordent pourtant parfaitement, comme par exemple « New Arrival » et « Olé » (d’une durére de 12 minutes!).

C’est le 10 avril dernier que Sconsolato a donc libéré la bête, 45 ans après sa sortie originelle. Le label a produit un lot limité de 300 copies remastérisées sous forme de vinyle, proposant en plus une option digitale sur Bandcamp. Un travail de réédition audacieux de la part du fondateur de Sconsolato, Thomas Gauffroy-Naudin, jeune mélophile de 20 ans et quelque, avec qui on tenait à s’entretenir pour clôturer cette publication. Également DJ et beatmaker plus connu dans la région genevoise et ses alentours sous le nom de Truckthomas, il a gentiment répondu à nos questions.

Illustration de Truckthomas via l’Association du Salopard

Tu as annoncé sur tes réseaux que le disque est maintenant sold out! Félicitations! Comment ça s’est passé tout ça?

Merci ! Je suis très content que le disque ait si bien marché. J’étais très anxieux à l’approche de la sortie, je me disais « T’as abusé, t’es pas prêt… » et les annonces de confinement ne m’ont pas non plus mis en confiance. Mais au final, que ce soit les distributeurs, les shops, les amateurs/trices du genre ou les curieux/ses, tous/tes ont été très réceptifs/ves!

Je suis fier de l’accueil chaleureux que le disque a reçu, ça me tient très à coeur. Je suis heureux que les gens puissent écouter cet album que je trouve fabuleux.

Où peut-on encore se procurer le disque? Un nouveau pressing de prévu?

Quelques vendeurs l’ont mis sur Discogs, sinon il reste quelques copies chez Clear Spot aux Pays-Bas. Pour l’instant je ne prévois pas de represser cette sortie, mais une version digitale est disponible sur notre Bandcamp!

Pourquoi le choix de Noah Howard?

C’est un artiste qui m’a marqué, surtout cet album ‘Live In Europe Vol. 1’. L’album m’a frappé dès la première écoute, je connaissais les trucs plus free/expérimentaux de l’artiste, ici c’est le bon équilibre entre exploration et groove à mon goût. C’est un disque très beau je trouve, il y a quelque chose de très entraînant et d’hypnotisant dans cet album. Et je recommande vivement quasi toute la discographie de l’artiste!

Noah Howard occupait une place particulière dans la scène free jazz de l’époque et va assez loin dans l’expérimentation. Malgré qu’il ait côtoyé dans grands musiciens du genre comme Sun Ra, Archie Shepp, Albert Ayler, Pharoah Sanders… et qu’il ait sorti des disques sur des labels moteurs du free jazz comme Freedom, ESP ou America… il est toujours resté plutôt méconnu et en marge.

Pourquoi le choix du jazz?

À la base je viens du rap et comme beaucoup je suis arrivé dans le jazz via le sample. Au final, au point où j’en suis, je vois même plus trop de différence entre jazz et rap. Même au niveau de l’esthétique, de l’attitude, des innovations et des contributions à la culture populaire en générale. Je préfère voir les deux dans un ensemble complexe, plutôt que de les cloisonner. Historiquement, c’est l’évolution culturelle de la nation Afro-Américaine. Beaucoup de valeurs musicales, sociales, politiques et culturelles ont été transmises de la génération Jazz aux générations Hip-Hop. Après, ce qu’il est intéressant de voir c’est que la génération Hip-Hop des années 80/90 et 2000 est maintenant devenue l’équivalent de la génération Jazz d’autrefois pour la génération Trap des années 2010.

Dans la niche qu’est le milieu du vinyle, le jazz est revenu en force ces dernières années. Après la hype « World Music », c’est au tour du Jazz de faire son come back (rires). En soit, la scène jazz actuelle est en pleine explosion avec des gros noms comme Kamasi Washington ou Kamaal Williams… Même en dehors de ça, quand tu regardes dans le hip-hop (et même la pop), environ depuis la sortie de To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar y a eu un mouvement assez conséquent de trucs plus jazzy ou avec des influences. C’est un cycle de mode comme pour tout. Dans le lot, il y a des trucs vraiment chanmés et honnêtes, tout comme il y a des gens qui « font genre », c’est toujours pareil. Dans tout ça, j’essaie juste de faire mon truc dans mon coin, sans prétention. Je sais ce que j’aime et je sors ce en quoi je crois.

Vers où tu vois Sconsolato évoluer? Tu y publies aussi ta propre musique avec Truckthomas et il est noté sur Facebook que c’est une marque de vêtements…

J’aimerais bien sortir mon premier album pour 2021, je bosse là-dessus en ce moment. Mais je prends mon temps pour faire un truc sincère, carré et artistiquement juste. D’habitude je passe mes derniers sons en exclu sur les lives du Chroniqueur Sale (rires).

Sinon j’ai quelques autres projets avec Sconsolato, j’aimerais proposer d’autres produits ou services en rapport avec la musique. Et, effectivement, un jour va arriver où on va faire de la sappe, mais une chose à la fois. Faut que je prenne le temps pour faire les choses bien et surtout que ce soit cohérent.

Déjà un prochain projet d’édition avec le label en vue?

Yes je charbonne ça en ce moment même. Je peux pas encore annoncer ce que ça va être exactement, ce sera à nouveau une réédition. Jazz-Funk cette fois-ci, 300 copies. Prévue pour la rentrée/l’automne prochain!

Un morceau quelconque à nous conseiller pour la route?

Nathan Davis SextetSconsolato.
C’est un choix un peu convenu, mais elle représente beaucoup pour moi cette composition!

Live In Europe Vol. 1 est toujours disponible sur Bandcamp.