ORELSAN – LA FÊTE EST FINIE: FIN D’UN CYCLE DE VIE

6 ans. C’est le temps qu’aura fallu pour qu’Orelsan nous revienne avec le troisième acte de sa vie et livre ici son album le plus nostalgique et personnel. Le rappeur et chroniqueur du temps présent passe un nouveau palier.

En 2009, débarque un jeune rappeur pas comme les autres. Crâne rasé et vêtu de survêtements rétro’, Aurélien (de son vrai nom) rappe la vie de Monsieur Tout-le-monde. Un personnage alliant egotrip, spleen et « looserie »: un savant cocktail qui séduit les ados. Perdu d’avance, son premier album, est un succès inattendu. À l’époque, très peu d’artistes prenaient le risque de s’éloigner des codes américanisés du rap. Orelsan transforme l’essai deux ans plus tard avec Le Chant des Sirènes, le projet qui le fait littéralement exploser. Cette fois-ci, le personnage se transforme physiquement en côtoyant un univers héroïque où la métaphore du masque est au service des différentes facettes du rappeur.

Orelsan, c’est aussi un duo. Avant d’être connu du grand public, il rappait sur son MySpace en compagnie de son pote Gringe. Le duo Casseurs Flowters se forme. Aurélien attend son succès populaire et critique pour mettre son groupe sur le devant de la scène, ce qui donnera deux albums, un film et une mini-série. L’univers d’Orelsan est toujours là, même si d’autres styles sont expérimentés et mettent en avant sa passion pour le cinéma.

On se doutait bien qu’Orelsan reviendrait un jour en solo… La question était: quand? L’annonce a été faite assez rapidement, après la parution il y a un mois du morceau Basique. Une critique de la société dont le rappeur en a l’expertise. L’annonce du nouvel album est donnée à la fin du clip filmé en one shot avec un drone.

La fête est finie. Un titre à double lecture, comme son personnage. Annonce-t-il la fin du game? La fin de sa carrière? La fin d’un cycle? La réponse est donnée dans l’excellente intro de l’album. Orelsan soigne toujours ses ouvertures et chacun des morceaux permettent de faire le point sur sa vie et sa carrière. Étoiles invisibles exprimait une multitude de doutes, la peur de l’inconnue. Raelsan introduisait un nouveau personnage, de nouvelles références empreintes d’héroïsme. San exprime une certaine sagesse et distanciation. Orelsan a désormais une œuvre et une carrière derrière lui, sur laquelle il peut se retourner et prendre du recul. Un couplet unique avec un flow qui prend de la force au fur et à mesure de la montée en puissance de l’instru. Un sans faute.

La sagesse s’acquiert avec l’âge. La vieillesse est justement le thème central du morceau éponyme de l’album. Prendre de l’âge, accepter les changements, mais aussi repenser à hier avec nostalgie. Autant de sentiments véhiculés dans les couplets d’Orelsan tout au long du projet. Zone est LE morceau rap de l’album en compagnie de Nekfeu et de Dizzee Rascal. Initialement écrit pour l’album Cyborg (le dernier de Nekfeu), Orel a rencontré Dizzee qu’il présente comme son rappeur anglais favori depuis plusieurs années, et a voulu l’inviter dessus. Le caennais a finalement proposé au rappeur parisien de boucler la piste pour une collaboration inattendue.

Le temps lui a aussi permis de trouver la « bonne meuf ». Orelsan c’est toujours exprimé sur la gent féminine avec plus ou moins de finesse. Ce troisième album est beaucoup plus sentimental puisqu’il y exprime son amour sur deux morceaux. Lumière et ses sonorités cloud rap explique la genèse de cet amour et Paradis, morceau très mélodieux (et un clin d’œil au classique Gangsta’s Paradise) en fait l’apologie. Bravo à Guillaume Brière pour l’instrumental, au passage.

Quelques échappées humoristiques et teintées d’autodérision sont belles et bien présentes! Défaite de famille est un bijou en la matière. Aurélien profite d’une grande réunion familiale pour remettre les pendules à l’heure. On comprend alors le décalage qu’il peut se produire pour lui depuis qu’il est dans sa vie d’artiste. Tout le monde en prend pour son grade et on peut tous s’y reconnaître personnellement… Le Suicide Social des familles! Seule Mamie est épargnée, ce qui lui a d’ailleurs value le droit à un featuring prestigieux. Christophe est aussi un beau délire, en compagnie de Maître Gims.

Ce troisième album est aussi une introspection identitaire. En ce sens, Orelsan y parle beaucoup de sa ville d’origine, Caen. Il exprime déjà une dualité dans l’intro du projet: « J’suis pas chez moi dans la capitale; j’continue d’écrire sur une ville où j’habite pas ». Un certain nombre de titres reviennent ainsi sur son lieu d’appartenance. Dans ma ville, on traîne est dans la continuité du morceau Dans la place pour être, rappé aux côtés de Gringe pour Casseurs Flowters. Le témoignage le plus beau et nostalgique vient sur La Pluie, avec le talentueux Stromae à la prod’ et au refrain. Chaque personne ayant quitté le nid s’y reconnaitra. Le bruit de l’averse ouvrait le premier album d’Orelsan… On sait que ce phénomène métrologique a beaucoup joué sur l’orientation de son écriture et des histoires qu’il a choisi de nous raconter.

Après Disiz, Stromae continue à apporter son univers et ses mélodies entêtantes sur la scène française. Le duo avec Orelsan fonctionne à merveille: Tout va bien est un des sons poids lourd du projet. Ce dernier fait d’ailleurs écho au dernier morceau, Notes pour trop tard. Dans les deux, le rappeur s’adresse à un être étranger, qui pourrait être son futur enfant ou son double. Il fait le résumé de sa vie, de ses réussites et échecs et essaye d’en enseigner les leçons. Le morceau le plus sage d’Orelsan à ce jour; un long couplet de près de 8 minutes entrecoupé des voix des deux sœurs du groupe Ibeyi. Une très belle conclusion et qui donne un joli écho à San.

Le rap est la nouvelle chanson française. Le constat est de plus en plus fréquent à travers de nombreux artistes. Orelsan en est l’un des représentants. La fête est finie est son album le plus cohérent et musical (malgré quelques sorties de route justifiant des featurings vendeurs). Le niveau des prods’ est bien au dessus des projets précédents et les chants sont plus doux à l’oreille (la voix d’Orelsan n’est pourtant pas faite pour pousser la chansonnette…).

Un travail abouti pour boucler un cycle de vie en trois actes: quelle sera alors la prochaine étape de sa mutation artistique?