PENTAGON PAPERS – PRESSE TRIOMPHANTE [CRITIQUE]

Avec Pentagon Papers, Steven Spielberg et les journalistes qu’il filme révèlent la vérité sur la Guerre du Vietnam. Certainement l’oeuvre la plus magistrale du réalisateur parmi ses récits les plus politiques : un régal de bout en bout. 

Une image symbolique incrustée dans la toute première scène de Pentagon Papers poursuivra le film jusqu’à son épilogue : une machine à écrire posée sur le siège passager d’un véhicule utilisé par l’armée américaine pendant la si contestée Guerre du Vietnam. Evénement longtemps scruté par le cinéma et toutes ses formes, il n’est jamais apparu dans la carrière pourtant gorgée d’Histoire de Steven Spielberg. Et voilà que le réalisateur de Lincoln et The Bridge of Spies s’y attelle enfin pour conclure sa trilogie concentrée sur la portée politique des plus grands événements de notre Histoire. Et s’il ne filme pas les champs de batailles comme un Coppola ou les répercussions psychologiques à la Voyage au bout de l’enfer, Spielberg s’intéresse non seulement à la naissance  du front populaire contre cet événement à l’aube des années 70’, mais aussi ce qui a lancé les toutes premières enquêtes journalistiques de grande envergure (dont le Watergate) : la publication de documents classés secret-défense accusant le gouvernement d’avoir volontairement prolongé le conflit vietnamien sous peine de se sentir « humilié » – les fameux « Pentagon Papers ».

(Ré)incarner la vérité

Et face aux diverses répercussions qu’un tel conflit éthique peut susciter – le gouvernement lança des procédures pour empêcher la suite des publications –, Spielberg anime une fois encore les plus belles passions humaines ; sauvegarder la liberté de la presse à travers la survie d’un journal, le Washington Post, et des lecteurs : il s’agit de faire bouger les choses, de vivre. Et ce geste spielbergien, celui des histoires vraies, trouve une fois encore un ressort contemporain dont la justesse de mise en scène nous rappelle combien Spielberg est indispensable pour bercer notre monde qui va mal. La plus grande lubie du réalisateur ici, et la plus efficace, est finalement de superposer l’enjeu d’une telle publication sur le plan éthique – faire régner la liberté de la presse et s’adresser aux gouvernés – et le plan interne prétexte à l’immersion : comment un journal, en pleine démarches de survie économique, pourrait-il se redresser de cette investigation ? L’une des répliques prononcées par une Meryl Streep rarement aussi rayonnante résume bien la situation : c’est la qualité du journal qui fera sa rentabilité.

Ainsi, l’équilibre de la mise en scène est influencé par celle que le Washington Post vise pour prendre les risques nécessaires à sa renommée. Plus qu’un film qui résume la façon dont le journalisme d’investigation est né, Pentagon Papers raconte la vie (difficile) d’un journal qui, à cette époque, était confronté au sujet le plus brûlant (le titre original est The Post). Et il faut croire que ce traitement de l’actualité que Spielberg met en lumière, grâce notamment aux dilemmes qui s’y ajoutent, a des résonances contemporaines qui élèvent le film, littéralement. Car la plus grande qualité du cinéma de Spielberg, en tout cas celui qu’il nous offre depuis son retour à la science-fiction en 2001 jusqu’aux connotations politisées de ses scénarios, est de se confronter à son époque. Dans La Guerre des Mondes, il nous montre comment des terroristes extra-terrestres massacrent la race humaine à l’heure où le terrorisme suscite les plus vives réactions militaires. Dans Pentagon Papers, Spielberg voit l’intérêt de faire renaître la liberté de la presse, gravement endommagée dans plusieurs pays, et ceux qui l’incarnent.

Il filme le courage, la sueur et toute la physique du métier de journaliste avec une virtuosité dont lui seul possède le secret : plans d’ensemble qui avantagent les dialogues de grande envergure, la caméra qui épouse les machines à écrire, les imprimeries et la salle de rédaction… S’il y a une guerre, elle résonne à travers les murs du Washington Post. Pentagon Papers n’est jamais dans le copié-collé d’un tel univers, ce n’est pas de la figuration : tout est voué à réapparaître, à se reproduire ; il est aussi question de popularité, c’est-à-dire transiter du statut local au statut (inter)national. Et quand cette quête palpable et renaissante de la vérité se traduit par le courage quand bien même elle résume parfaitement ce qui manque à notre époque, alors il n’y a plus qu’à se contenter de ce que Spielberg fait de mieux : raconter l’Histoire et des histoires grâce à leurs dimensions didactiques.

Tel un classique instantané, Pentagon Papers impose l’idée selon laquelle il suffit d’un élan de courage pour que les histoires les plus élémentaires de ces dernières années puissent naître. Le rapport de Spielberg avec notre Histoire trouve ici des notes de cinéma dont la morale importe davantage que la manière ; sans le moindre opportunisme, car il ne fait que raconter des histoires censées incarner notre humanité commune. Et encore, rien que dans cette manière on ne peut plus juste de filmer le courage de ces personnages, on en ressort comblé ; et cela prouve la profonde sensibilité de son cinéma.