Cela fait maintenant près de 25 ans que les Pokémon sont entrés dans notre vie, pour ne plus jamais quitter la sève de notre pop culture. Si nous, pour notre part, avons bien grandi, qu’en est-il de Pikachu et de sa galaxie?
Toute une histoire
Je suis né en 1992, Pikachu en 1995. Au simple son du mot “Pokémon”, c’est tout un océan de souvenirs qui m’envahit : mes premières parties sur “Pokémon Bleu” chez des amis, envieux et dépassé par cette collection inédite de bestioles tantôt adorables, tantôt magnifiques ; ma première console, une Game Boy Color violette et sa cartouche “Pokémon Argent”, fidèle acolyte de mes trajets en voiture et veillées nocturnes à l’écran éclairé à la loupiote à ressort ; le sommet de plaisir à chaque apparition du logo Game Freak, à chaque tremblement des pixels annonçant l’apparition d’un Pokémon sauvage, à chaque rebond de Poké Ball close, à chaque nouveau badge obtenu auprès d’une arène, à chaque Master Ball sacrifiée, … ; ma culpabilité à l’emploi d’un Action Replay, et mon obsession à ne plus jamais l’utiliser et à tout recommencer sur des bases saines une fois le péché accompli du Mew sauvage en pleine nature. Le jeu d’une vie, qui allait affiner mon rapport à bien des choses, notamment l’écran, l’échange et l’imaginaire, sans jamais susciter ni désamour, ni lassitude.
Puis furent diffusés les dessins animés, éternels compagnons de mes petits déjeuners Chocapic & lait fraise, mais aussi les cartes à collectionner, cauchemar financier pour mes parents, et première passion obsessionnelle depuis les dinosaures. Aussi, mon papa endormi au bout de dix petites minutes devant “Pokémon 2” et son majestueux Lugia au cinéma, et moi désolé qu’il ne sache apprécier un aussi beau spectacle. Et puis le Poké Rap, le riff d’intro du générique sur TF1, la gue-guerre de Miaouss, le gimmick de Qulbutoké, le choix d’Arcanin comme numéro 1, la découverte des animaux légendaires à la révélation de chaque nouvelle génération, Didier de l’Archipel Orange, … Même lorsque “Pokémon Go” est sorti, il m’a été impossible de ne pas replonger dans ce cosmos de périples, retrouver ces créatures devenues si chères à l’enfant enfoui en moi.
Pokémon réunissait ma fascination pour les histoires fantastiques et mon amour pour les animaux, et notamment cette relation fusionnelle qui peut se tisser au cinéma entre un homme et son buddy à fourrure, à écailles ou à plumes. Grandir, prendre confiance, et se découvrir à travers les yeux et la confiance d’un autre être était la leçon de vie qui m’était enseignée sans le savoir. Voir la marque continuer à vivre avec force et ferveur sur autant de supports m’a toujours fasciné, et maintes fois j’ai sondé LeBonCoin, désireux de replonger dans “Pokémon Argent”, comme pour défier les lois du temps, goûter à nouveau au triomphe du niveau 100.
L’envie d’y croire
À l’annonce de la sortie d’un film live Pokémon, la prudence communément de mise pour les projets Hollywoodiens estampillés “sagas nostalgiques à gros noms” a vite laissé place à une excitation tout bonnement puérile, non sans rappeler le teasing de “Jurassic World”. Il y avait pourtant de quoi craindre le pire, après les récentes tentatives hollywoodiennes de s’attaquer aux adaptations de succès gaming ou d’oeuvres cultes issues du manga, soldées en échecs cuisants ou en interprétations gauches et tièdes (“The Emoji Movie”, “The Angry Birds Movie”, “Ghost In the Shell”, “Death Note”, etc.). Tâchant de ne pas considérer le film juste comme de l’or en barres, le visionnage du trailer a finalement été un moment jubilatoire, partagé entre amis, tous ahuris de cette incursion de Pikachu dans notre monde. C’était comme si les Avengers et autres adaptations tirées de nos souvenirs d’enfants rêveurs n’avaient fait que retarder l’inévitable, enfin accessible technologiquement; à savoir la première vraie collision entre notre réalité terrestre et la dimension Pokémon à travers la réalisation de ce “Pokémon Détective Pikachu”. Frissons assurés, et assumés: la magie était ravivée.
Réalisé par Rob Letterman (papa de l’adaptation – inoffensive – de “Chair de Poule” au cinéma, avec Jack Black), le film tient son inspiration du jeu vidéo éponyme sorti en 2016, avec un Pikachu affublé d’une casquette, au look irrésistible (merchandising is coming), et totalement addict à la caféine. Plutôt que d’exploiter la dimension dresseurs, arènes et duels de la légende, “Pokémon Détective Pikachu” s’attarde sur une enquête policière, suivant le jeune Tim Goodman (Justice Smith), accompagné de Pikachu (motion capture et doublage exécutés avec brio par Ryan Reynolds) sur les traces de son père Harry, célèbre détective passionné des Pokémon, mystérieusement disparu dans un accident de voiture. Peu friand des Pokémon par défiance vis-à-vis de la mémoire de son père absent, Tim va rencontrer et surtout comprendre Pikachu, et devenir ainsi le seul humain connu capable d’échanger avec son compère Pokémon. De ce miracle cosmique naîtront l’urgence et le besoin d’en apprendre davantage sur la disparition suspecte de Goodman et sur le mythe de Mewtwo, Pokémon en fugue réputé comme surpuissant.
Le ton du film se veut contemporain, basé sur les dangers des expérimentations génétiques, la condition animale et le changement climatique. Les décors suivent cette tendance: l’action se déroule dans la ville fictive et futuriste de Ryme City, lieu de symbiose entre Pokémon et humains, introduite d’un oeil émerveillé et bucolique à la « Zootopia« . Les spectateurs attentifs pourront remarquer quelques bus rouges londoniens et la présence du fameux Gherkin de la City troubler cette impression à l’écran. En vérité, cette fusion se fait dans le respect du matériel d’origine, avec une pastiche de cultures et d’influences sans ethnie ou nationalité définie, donnant au tout une véritable tonalité universelle proche de notre quotidien (la présence d’écriteaux dans différents langages pouvant tout de même perturber l’équilibre logique de l’ensemble).
Ultra Jouvence
Via son intrigue, le film se destine à un public très jeune, offrant de ce point de vue son lot de neuf mais aussi de naïf, avec une machination bateau sauvée par une enquête réfléchie, dont l’issue véhicule avec succès quelques maximes bienfaisantes. “Pokémon Détective Pikachu” ne parlera pas à tout le monde, au risque de décevoir les fans des débuts (qui ne se sentiront pas cibles directes du film), mais atteint ses objectifs pour le jeune public : émouvoir, faire rêver, et apprendre.
En parallèle, Pikachu se veut être le vrai phénomène du film: mignon, abouti (cette magnifique fourrure!), et drôle tout en évitant la bêtise de tomber dans le “Deadpool pour enfants”. L’alchimie entre Justice Smith et Ryan Reynolds est réussie, et ce alors que le jeune comédien a dû tourner une immense majorité du film en parlant au vide, tout en imaginant une souris CGI à ses côtés. Sa prestation et son enthousiasme aident à alléger les défauts du film, et à passer au dessus des problèmes de rythme et autres raccourcis dommageables au scénario.
Sur ce point, les Pokémon sont globalement photoréalistes, rendant l’immersion relativement facile en dépit de quelques designs trop lisses. L’univers créé est moderne, urbain, chargé en néons: ici Letterman ne joue pas sur la nostalgie des années 2000 pour séduire les fans de la première génération de Pokémon, mais bien sur la création d’une fiction qui explore les méandres de son époque, voire de son après. En ressort une volonté d’ancrer la licence dans le présent, et non dans un réflexe de madeleine dans le rétroviseur. Le côté photographique de l’image et les changements de point témoignent d’une certaine maîtrise de la mise en scène, qui visuellement (hormis pendant la bataille finale, banale à souhait) lui confère tout de même une singularité remarquable.
Hélas, dire que Pikachu est la grande star de ce film induit un autre constat, moins réjouissant: les autres Pokémon ne le sont aucunement. Avec une galerie de Pokémon très limitée et piochant largement dans les dernières générations, cette comédie (doucement) noire ravive une flamme pour le personnage de Pikachu, mais pas vraiment pour les personnages qui l’entourent.Les présences (caméos?) de Rita Ora et Ken Watanabe n’ont que peu de sens, et donnent davantage la sensation déconcertante d’un méli-mélo que de la mise en place d’une backstory construite et cohérente. Suivant un axe narratif trop étroit, le film ne se donne pas la peine de nous faire tomber à nouveau amoureux de la diversité de la faune Pokémon. Probablement une décision stratégique vis-à-vis d’autres films et séries à venir, mais la récompense est mince pour ceux qui pensaient voir défiler les oiseaux et chiens légendaires. Dès lors, si vous avez un “Pokémon préféré” original, celui-ci risque bien d’être absent du long-métrage, ou juste esquissé quelques secondes en train de traverser un passage piéton.
Un acte pas si manqué
Si on peut pardonner au film la facilité de son exécution, cela reste un peu dommage avec tant d’alternatives possibles de proposer une copie si légère, même si ce manque de fan service rend l’oeuvre plus légère (absence de Sacha, Jessie & James, etc.). En outre, les références se veulent légères: en faisant référence à l’évasion de Mewtwo du labo de la Team Rocket, « Pokémon Détective Pikachu » s’inscrit dans la chronologie Pokémon à mi-chemin entre l’anime et le jeu vidéo, avec une avalanche d’easter eggs allant de la présence de Red dans les archives de tournoi aux fioles de gaz estampillés du fameux « R » comme Rocket, du sérum du même nom.
Quoi qu’il en soit, le film traverse un ventre mou terrible en son milieu, et aurait mieux fait de varier les propositions plutôt que de s’attarder sur les énigmes de Mr. Mime (un bon moment malgré tout), les visites déjà vues de laboratoires expérimentaux et les remous d’îlots mouvants WTF. S’en suit un conventionnel trio bataille finale – twist – happy ending un poil expéditif, sans grandeur. Letterman oblige, “Pokémon Détective Pikachu” souffre du ”Goosebumps Syndrome”; un film pour enfants vendu comme une œuvre familiale et transgénérationnelle, sans pour autant faire complètement mentir sa promesse en se reposant sur l’héritage sécurisant de la pop culture. La stratégie est claire: prolonger la durée de la vie de la licence Pokémon par le cinéma, et assurer le renouvellement de son public au long des décennies en ne se limitant pas aux incollables.
Au final, “Pokémon Détective Pikachu” reste un doux retour dans le passé, un voyage coloré qui parlera probablement aux tout petits, un peu moins aux grands enfants. Mais d’une certaine manière, voir Pikachu parler dans un blouson d’enquêteur sur grand écran, c’est aussi continuer à croire au cinéma, et au pouvoir des histoires dans le temps. Restons légers, soyons heureux: nous aurons quand même vu des Pokémon au cinéma, et c’est ça qui compte.