READY PLAYER ONE – L’AVENIR EN JEU [CRITIQUE]

Avec Ready Player One, nous retrouvons tout un pan de la pop culture des années 80′ dont Spielberg se porte garant le temps de deux heures et demie fidèles à son cinéma, entre didactisme, mise en abîme et rêveries inépuisables. 

Réaliser un film comme Ready Player One, adapté du roman d’Ernest Cline paru en 2011, constitue un défi majeur pour la création artistique telle que nous la connaissons aujourd’hui. Parce qu’au-delà de redorer tout un pan de la pop culture des années 80, le nouveau film de Steven Spielberg – son deuxième cette année après le chef-d’œuvre et plus sage Pentagon Papers – doit s’adapter à toute une réinsertion d’une sphère geek vintage dans les œuvres contemporaines : Stranger Things d’abord, les œuvres de J.J. Abrams après et quelques recyclages hollywoodiens imprimés dans l’inconscient collectif (Mad Max Fury Road, le retour de la franchise Star Wars) ou tombés dans l’oubli (Terminator GenisysJurassic World…). Spielberg apparaît d’ailleurs comme le parfait entremetteur des icônes de la génération 80/90, lui qui a bercé ses spectateurs à coups de E.T. et de Jurassic Park en passant par Indiana Jones. Et l’autre interrogation qui en découle est justement de savoir non seulement si le réalisateur devait jouer sur cette image d’adulte rêveur qui a fait émerger tous ces avatars, mais aussi s’il est, parmi les créateurs contemporains, comme une sorte de sauvegarde dans le registre de la nostalgie – comme c’est le cas chez Abrams – ou un éternel fabricant d’histoires et de personnages capables de gâter le monde des spectateurs.

Du virtuel au réel

C’est génial, parce que Steven Spielberg se retrouve un peu à la place de James Hallyday, créateur de l’OASIS, monde virtuel issu de son imagination et dans lequel les Terriens de l’an 2045 se réfugient pour échapper à ce réel. Contre le gris environnant et ces mobil-homes qui s’empilent comme des voitures promises à l’abandon, il y a la moto de Akira et la DeLorean de Retour vers le futur, King Kong et le Géant de Fer, et même un Xénomorphe – tout un panel de références, et même de micro-références, dont Spielberg se porte effectivement garant le temps de deux heures et demie, vous l’aurez deviné, ultra-intenses. En surface, c’est génial, et c’est profond, parce qu’il est aussi question de passer d’un monde à un autre – du virtuel au réel – dans Ready Player One, comme une sorte de sous-texte introspectif d’une quête d’un précieux sésame, un Easter Egg, dont la Chasse qu’il occasionne suite à la mort de Hallyday provoquera un affrontement sans merci capable d’altérer deux forces : celle de l’espace et du temps. Car l’œuvre de Spielberg ici est davantage conçue comme une réflexion sur les impressions réciproques de l’espace envers le temps que sur la constitution d’une vaste orgie de références.

De l’espace d’abord, car il y a donc l’OASIS qui s’entrechoque avec un réel dont le rendu post-apocalyptique – épargnant par ailleurs les détails assez redondants du livre – fascine autant qu’il inquiète. C’est ici toute la nuance qu’apporte Spielberg, comme en témoigne les autres futurs qu’il a filmés dans A.I et Minority Report – et nous pourrions rajouter La Guerre des Mondes et sa perspective digne d’un futur proche. Le miroir prend le dessus sur le contraste car l’OASIS, univers dont la profondeur de champ inspire sa palette de couleurs, c’est-à-dire infinie, est voué à sa disparation s’il tombe entre les mains de l’IOI, entreprise affamée de pouvoir et forcément pilotée par un bad guy (Ben Mendelsohn). S’il est dépouillé de toute son imagination, le virtuel s’équivaudrait au réel. Fin du game. Et parce que les piliers de l’intrigue reposent sur cette nécessité d’échapper au réel par le virtuel, sauver le second revient à défendre le premier. Ce montage qui assemble les références autant qu’il jongle entre jeu virtuel et menaces du réel est une façon pour Spielberg d’épouser l’idée selon laquelle donner du temps au virtuel est aussi une façon d’économiser le réel, et vice-versa – ça vaut autant pour le filmage que pour le propos.

Se (re)connecter

A ce titre, Ready Player One est une ode au jeu vidéo dont la hauteur pragmatique révèle ce qui a toujours façonné le cinéma de Spielberg : comment les images, autant venues d’ailleurs (science-fiction) que terre-à-terre (récits politiques, histoires vraies) atteignent le réel. Et qu’est-ce qui plombe justement James Hallyday ? Un simple manque de réel, et un trop plein de regrets issus de ce dernier. Heureusement, et encore une fois par la création artistique, les images virtuelles, constituantes d’une fiction en plein boom, sont à la rescousse. Alors Spielberg, par l’enjeu inhérent aux différents espaces filmés, greffe aux mouvements des images et à la culture pop une dimension temporelle que l’on attendait particulièrement. Déjà le roman jouait avec le contemporain dans sa faculté à convoquer par écrit toutes sortes de titres et de personnages issus de la pop culture d’il y a plusieurs décennies pour dessiner une intrigue. Spielberg réédite le geste par l’animation purement temporelle des images : comment le passé, et par sa vocation à s’ajouter au présent, conditionne le futur ? Il est parfois question de rembobiner les images et de voyager dans le temps, dans la vie de Hallyday pour trouver les indices menant à l’Easter Egg.

Une des questions du film se pose par ailleurs au futur et le jalonne de part en part : quelles forces serions-nous capables de rassembler pour aller jusqu’au bout ? Jouer du filmage, chez Spielberg, est une réponse, un climax symbolisé par le mélange de pellicule de Janusz Kaminski avec les effets spéciaux du monde virtuel (un procédé vintage vs un imaginaire illimité et numérique). C’est pratiquement la même idée que Avatar et Inception, deux films dont l’idée de la connexion des corps et des esprits, comme dans Ready Player One, affecte une dialectique de l’espace et du temps. Dans Avatar, c’était la sauvegarde de la biodiversité (et donc d’un futur) d’une planète semblable à la Terre par une liaison d’un corps humain à celui d’un indigène, et dans Inception la remise en question pure et dure de la réalité par la connexion aux rêves et aux souvenirs (donc de soi-même). Et au milieu de ce temps quasi-malléable, un gamin orphelin, typiquement spielbergien, surnommé Perceval – à la quête du Graal – dans l’OASIS, héros du Moyen-Âge qui s’allie à une déesse de la mythologie grecque (Artémis). L’alliage du passé façonne le présent, et fantasme le futur : celui de l’OASIS pour nous spectateurs, mais aussi d’un monde moins connecté et plus pragmatique pour les personnages du film – cette fin, remarquable d’intelligence.

Sous la pop-attitude de cette esthétique branchée au virtuel, Ready Player One est une réflexion profonde sur les connexions entre l’espace et le temps. S’il demeure assez impressionnant visuellement – de quoi sortir de la salle complètement lessivé –, le nouveau film de Steven Spielberg donne de l’importance au didactisme de ses personnages, du monde qui les entoure, et finalement du nôtre, bercé par l’emprise du virtuel, bonne et mauvaise, sur les consciences des plus nostalgiques et des plus passionné-e-s.