Petite Fille, long-métrage documentaire de Sébastien Lifshitz sur le combat quotidien de Sacha, une petite fille née garçon, sort sur Arte cette semaine. En 83 minutes, on vit une année avec Sacha et sa famille, témoins pudiques de leurs joies, peines et révoltes. Sacha aimerait vivre comme elle est, s’habiller comme elle le souhaite à l’école et inviter ses amis simplement, mais tout est soumis à des interrogations disproportionnées. Petite Fille est autant un film sur l’épanouissement d’une identité que sur l’amour familial.
Lors du FIFIB qui mettait le réalisateur à l’honneur avec une rétrospective, nous l’avons rencontré pour évoquer son travail et plus particulièrement ce dernier film.
Tout d’abord, qu’est-ce que c’est, un documentaire [de Sébastien Lifshitz] ?
C’est une question difficile. Je dirais que mon travail documentaire c’est de redonner une place, une importance à des anonymes que je trouve héroïques, de raconter un moment de leur vie ; parfois leur vie toute entière si j’en ai la possibilité.
J’ai essayé de créer une sorte de territoire pour aimer et filmer toutes celles et ceux que l’on ne voit pas généralement dans les films de fiction, justement pour en montrer à la fois toute la force romanesque, politique, sociale et humaine.
Édouard Waintrop [le directeur de la programmation du FIFIB, ndlr.] a présenté Petite Fille en proposant aux spectateurs d’essayer de « se mettre à la place du personnage ». Vous le voyez aussi dans cette optique ?
En quelque sorte. J’essaye de créer un lien, une résonance entre la vie de ces gens que je filme et le spectateur. De l’emmener avec ces personnes dont je raconte l’histoire, de construire une empathie, un amour.
Les films peuvent vous faire prendre conscience tout d’un coup de situations que vous n’aviez jamais imaginées. Vous éveiller à des questions à la fois très intimes et très politiques, qui peuvent avoir des conséquences très grave dans une vie. Pour Petite Fille, ce refus de considérer l’autre tel qu’il est, par exemple.
Si un film peut vous rapprocher, vous faire comprendre et vous faire aimer une personne, alors qu’elle était peut-être à l’opposé de ce que vous êtes, je trouve que c’est déjà beaucoup. Tout d’un coup, l’espace du film, il y a un lien extrêmement puissant qui vous relie à cette personne et qui peut-être peut vous aider à comprendre une part du monde dont vous n’aviez pas conscience.
Vos récits sont relativement courts et elliptiques. Comment est-ce que de cinq ans de tournage, on arrive à 2h15 (Adolescentes) et d’une année, on fait 1h20 (Petite Fille) ?
J’aime les récits assez rythmés. J’essaye d’avoir des récits ramassés, elliptiques en effet, je joue assez peu sur la contemplation et le délitement des scènes. C’est mon rapport au temps.
C’est un goût personnel, mais pour autant la dramaturgie n’est jamais très forte dans mes films : ce sont des films surtout structurés par l’idée du portrait. Adolescentes a un rythme très soutenu : quand vous filmez deux ados, ça pulse. Elles ont l’énergie de la jeunesse, il se passe beaucoup de choses. Les états changent rapidement : un ado c’est les montagnes russes, du drame à la comédie en quelques secondes. En termes de rythme, il fallait incarner ces états changeants permanent
À chaque film son écriture et son rapport au temps, je ne généralise pas. C’est la matière filmée qui impose certaines choses, il y a des évidences qui apparaissent au moment du montage. Le rapport au temps est toujours à inventer au moment du montage.
Vos documentaires sont émaillés de très beaux plans. En repensant aux inserts, à ce plan sur la jupe de Sacha en fin de film par exemple, on se demande comment est-ce que vous abordez l’image pendant le tournage ?
D’abord, je ne dis jamais action dans un documentaire: les gens que je filme ne sont pas des acteurs, ce sont des personnes. Je suis là pour me fondre dans leur vie et observer le cours des choses. J’essaye de me trouver une place qui me permette de ne pas perturber le réel.
Quand je filme, je cherche à la fois l’essentiel et les détails. Parfois une toute petite chose peut dire beaucoup. Un vêtement, un moment calme, quelqu’un d’assis et concentré, des bulles de savon avec lesquelles un enfant joue… Des moment qui sont extrêmement chargés de sens; peut-être même plus que n’importe quel discours ou échange de paroles. On pourrait penser qu’un dialogue très nourri va nécessairement contenir les informations essentielles à la compréhension de l’histoire et des personnes… Ça peut aussi être du blabla. Une situation muette peut dire beaucoup plus sur la personne que vous filmez que des mots.
Ces moments sont choisis deux fois, au tournage d’abord, puis ils sont en quelque sorte validés au montage s’ils représentent quelque chose de fort, qui contient du récit et qui a sa place dans le film.
On sent une grande proximité avec ceux que vous filmez, les parents de Sacha s’adresse directement à vous. Comment est-ce que vous mettez en place cette relation ?
Ça fait partie de l’essence de mes films : je ne fais pas des films sur des « sujets », mais des films liés à des rencontres et à la relation que je vais avoir avec ses personnes. L’expérience de tournage crée des liens très forts ; je rentre dans leur vie, ils rentrent dans la mienne et cette relation fait partie du film.
D’ailleurs, je ne pense pas qu’on puisse s’engager sur un film si on n’apprécie pas vraiment les personnes. Je ne pourrai pas filmer quelqu’un que je n’aime pas. Ça m’est arrivé une fois, c’était une expérience très désagréable et cette personne n’est pas restée au montage, ça m’était impossible.
Pour en revenir à votre première question d’ailleurs, le cinéma c’est l’art d’aimer les autres, et de leur donner une place tout d’un coup, à la fois dans leur vie et dans votre travail.
Petite Fille est disponible sur arte.tv jusqu’au 30 janvier 2021.
Augustin Pietron (Oggy)