ackLars von Trier a trouvé un nouvel outil pour forger sa cruauté : le rire. Avec The House that Jack built, la mission de son cinéma n’a jamais été aussi remise en question, au nom de la satire, oui, mais aussi de l’enfer.
Lars von Trier n’est pas plus un salaud déprimé qu’un metteur en scène génial, et surtout depuis l’ajout de sous-textes mélodramatiques aux épopées trash de personnages servant de reflet du réalisateur : on pense à l’histoire d’amour paranormale de Melancholia entre une Kirsten Dunst malade et une planète bleue suite à la rupture avec la nôtre (qui se meurt), ou encore l’introspection d’une nymphomane (Joe, jouée par Charlotte Gainsbourg) qui, pourtant, a toujours eu les yeux rivés sur un sombre et bel homme. Cette volonté de se défaire du réel, par la difficulté aussi d’en définir une forme, autant celle de la Terre que de l’Amour, se convertit désormais chez LVT par notre rapport, aussi lointain que voisin, à la Violence. The House that Jack built poursuit cette entreprise de déconnexion grâce donc à la fascination monomaniaque de son personnage principal (Matt Dillon) pour le meurtre en série. Fascination qui, par l’engendrement de la violence et des meurtres, provoque une distance du personnage avec le monde quand bien même elle ne semble pas l’affecter : nuance importante, car Justine et Joe sont, elles, en plein mal être.
Le rire cruel
Voilà donc une occasion pour LVT non seulement de jauger la violence, celle aussi qui parcourt sa filmographie, comme un acte de (dé)raison, car d’abord pulsionnel et jouissif, mais aussi de revenir à l’un de ses registres préférés : la comédie, ni noire ni de comptoir (Les Idiots et L’Hôpital et ses Fantômes). Alors, ce qui différencie vraiment Jack, Justine et Joe n’est pas leur histoire ou leur façon de la raconter – THTJB est le décalque narratif de Nymphomaniac, respectant une structure en actes et la confession de la voix off –, mais la façon dont LVT va la raconter. Quand la distance avec le monde aboutissait aux pleurs et déprimes de ses dames, celle de Jack aboutit à une quête d’autosatisfaction. Une quête totalement surréaliste compte tenu de ses toques et autres manies à la hauteur d’un croquemort sous emprise et qui provoque, là, instinctivement, un rire que nous pouvons regretter ou, encore pire, mal digérer, jusqu’à nous poursuivre pendant la projection. Partir du cruel pour faire rire, et faire du rire un acte cruel : telle est la combinaison bien huilée proposée par Lars von Trier, certainement défait et malade, lui aussi, par le monde qui l’entoure. Sauf que lui décide d’en rire avec une ironie mordante, et son cinéma n’en demeure que plus épuré. Is it our house now.
Seulement, le rire n’est pas si paradoxal qu’il n’en a l’air – rire, mais l’horreur est là, what a shame (quel honte) ! Comme déjà dit, ce rire est instinctif, accompagne les agissements du personnage. L’empilement des meurtres se fait au son des rires de ses spectateurs, lesquels s’empilent également. Et c’est peut-être dans cette mesure que le cinéaste atteint rapidement une limite: on peut y apercevoir une psychologie très vite biaisée, trop mécanique, pas assez chaotique de l’humain et son inconscient meurtrier, thème qui a jalonné une bonne partie de sa filmo – comme le scientifique tueur malgré lui dans ses prévisions sur la trajectoire de la planète dans Melancholia. Rire de l’autre – et pas de n’importe qui souvent avec Lars von Trier – revient à rire de soi-même : si le principe plaît à vue d’œil sans chichi, il exige toutefois une variation que ni les histoires plus différentes que les autres ni le jeu d’acteur tout en métamorphose de Matt Dillon ne viendront offrir. Le film par conséquent souffre d’une structure trop bien pensée et peut-être trop calquée sur la profession d’architecte de son personnage principal.
Et soudain, vingt dernières minutes complètement inattendues qui, elles, proposent cette variation dont le film a besoin ! La lumière naturelle et la caméra qui tremble laissent la place à un monde pré-apocalyptique en CGI enfoncé sous-Terre, et le style LVT subit un lifting conséquent : comme si ses épopées nihilistes, se passant essentiellement sur Terre, ne pouvaient trouver chant du cygne plus large, plus immense, plus obscur que celui du sous-terre et du monde parallèle. Fin du naturalisme = fin du monde ? Quand LVT passe de la chambre froide au sous-sol, terribles mises en abîme de notre monde, cela donne The House that Jack built, une maison malade, fondée sur le chaos, déjà contaminée par le mal et qui n’en a plus rien à faire des autres graines de l’apocalypse semées dans le monde. Le cruel est le drôle degré zéro. Mais à partir de rien, ou à la conquête de rien, Lars von Trier prouve encore son immense générosité.