The Irishman – Marty Crépusculaire [CRITIQUE]

La sortie la plus importante de la semaine ne se fait pas dans les salles obscures. Sur Netflix, dans une fresque crépusculaire de 3h30, Martin Scorsese jette un regard mélancolique sur son cinéma et réinvente ses héros.

Martin Scorsese et son scénariste Steven Zaillian (Gangs of New York) ajoutent un élément supplémentaire au patrimoine du cinéma américain. Si leurs objectifs sont différents, il est bien impossible de ne pas penser à Once upon a time in America et à la trilogie du Parrain, auxquels ont aurait ajouté l’ironie d’un cinéaste réflexif sur son œuvre.

The Irishman est construit autour du personnage de James Sheeran (Robert de Niro) dont le scénario est tiré de l’ouvrage biographique de Charles Brandt I Heard you paint houses : Scorsese fait apparaître ce titre plus malicieux qu’un banal adjectif de nationalité sur des intertitres en début de film. La peinture métaphorique de notre irlandais s’exerçant avec une arme à feu plutôt qu’un pinceau, on vous laisse filer la métaphore pour deviner ce qu’il utilise en guise de peinture.

La réalisation de Scorsese, entre classique et moderne, est centrée sur les acteurs et leurs performances. Le ton est donné dès l’ouverture alors que le plan séquence se termine sur un de Niro en fauteuil roulant dans une maison de retraite.

Leurs personnages archétypaux sont interprétés avec finesse

Alors que de Niro est producteur et à l’origine du projet, Sheeran est loin d’occuper tout l’écran ; Scorsese filme également Russel Buffalino et Jimmy Hoffa, respectivement interprétés par Joe Pesci et Al Pacino. Ces derniers sont les mentors de Sheeran ; le réalisateur et son scénariste leur donnent au moins autant d’importance qu’à ce dernier. Leurs personnages sont des archétypes, pourtant les trois acteurs principaux semblent mettre un point d’honneur à les incarner dans la finesse. Un Joe Pesci supposément à la retraite trouve l’un des meilleurs rôles de sa carrière.

Les personnages secondaires forment une galerie bigarrée et convaincante, d’un Jesse Plemmons dont le personnage n’est pas très futé à Harvey Keitel qui n’aura aucun mal à nous faire croire qu’il est un boss italien.

Poursuivant sur les acteurs, la question du de-aging peut être posée dans la mesure où les séquences du film s’étalent sur plusieurs décennies. Il est toujours amusant de rappeler que De Niro a spécifiquement joué Vito Corleone (Marlon Brando) jeune dans Le Parrain II a une époque où un tel tour de force technique n’était pas envisageable.

The Irishman est indéniablement un plaisir de cinéphile

« Marty » est un cinéaste moderne (on retiendra ici son utilisation de la 3D dans Hugo Cabret qui demeure une leçon de cinéma). D’abord sceptique quant à ce trucage numérique, il se laisse convaincre et cela sert indéniablement le film. En effet, sur l’âge des protagonistes subsiste un doute mystique : plusieurs époques sont convoquées par un De Niro grabataire qui revient sur son parcours. La qualité de l’effet est là ; on jurerait toutefois que Marty a voulu désorienter le spectateur en affublant Bob de lentilles bleues. De cette manière, le détail étrange sur lequel l’attention se focalise reste le regard et non un visage trop lisse.

Que de Niro soit supposé avoir trente, cinquante ou quatre-vingt ans, ses mimiques et sa gestuelle sont les mêmes : il est toujours un Sheeran cohérent.. Cela tient à la fois à son talent d’acteur et à la mémoire du spectateur. C’est parce qu’on croit reconnaître Travis Bickle ou que l’on se souvient de Goodfellas et de Casino, que l’on a déjà croisé de Niro à tous les âges et qu’il fait partie de notre patrimoine que l’on n’a aucun mal à y croire. The Irishman est indéniablement un plaisir de cinéphile. Un délice pour ceux qui ont déjà rêvé devant les 9h de la trilogie du Parrain ou les 3h50 de Once upon a time in America, qui trouvent que le Scarface de 1932 ne manque pas d’action, ou enfin qui n’éprouvent que de la sympathie pour les personnages des Affranchis et de Casino.

The Irishman est crépusculaire. Marty livre un film fleuve, somme de ses autres films de gangsters dans une œuvre qui n’est pas dénuée d’ironie. On sent que certaines séquences sont filmées sur le ton de la remontrance affectueuse ; celui d’un « Really, guys ? » par exemple lorsque Sheeran explique que tous les mobsters de la ville se débarrassent de leurs armes au même endroit et qu’il y a donc en dessous de ce pont de quoi équiper une petite armée.

Ce qui se dégage principalement de The Irishman est une mélancolie, une certaine peur de la mort chez des hommes qui ont trop joué avec elle et auraient peut-être préféré être assassinés. Un constant, celui de la vacuité de ces actes criminels qui ont pourtant défini leurs trajectoires ; un autre, celui de l’incompatibilité entre pardon et honneur. Martin Scorsese n’a certainement pas de regrets, mais on peut gager qu’il tourne la page.

Augustin Pietron (Oggy)