THELMA – UNE FEMME FANTASTIQUE [CRITIQUE]

Jeune étudiante timide, Thelma va progressivement prendre conscience des tentations qui parcourent sa vie d’ado. Pour ses premiers pas dans le fantastique, Joachim Trier offre un portrait de femme stimulant et référencé. 

Avec la sortie de Grave en début d’année et maintenant de Thelma, il se pourrait bien que l’introspection corporelle d’une adolescente en quête de maturité puisse être le sujet de 2017 : car nous tenons ici deux films majeurs de cette année. Ce tandem se conçoit aussi grâce à Joachim Trier et sa manière d’utiliser un personnage principal dont l’interrogation constante provoque un destin aussi moral que cinématographique. Si Oslo, 31 août dessinait un fabuleux chemin de croix, Thelma offre une tension palpable greffée à la nature fantastique de son personnage (interprétée par l’envoûtante Eili Harboe) : il s’agit ici de l’accompagner coûte que coûte pour mieux percevoir les fondements d’un tel pouvoir en même temps que de grandir dans un corps adolescent complètement refoulé. Les ami(e)s, la famille, la nature aussi… Tout s’entremêle, tout se provoque. Thelma vit de plus en plus ; vive Thelma !

Grâce à son déferlement de spectres dignes d’un récit horrifique, Thelma est un film qui porte un paradoxe on ne peut plus total, à savoir réciter les tiraillements psychologiques d’une ado à travers une mise en scène constamment en équilibre sur le récit fantastique. A mi-chemin entre la Carrie made in De Palma et le condensé le plus informe des récits de sorcière, le genre encadre parfaitement son personnage tandis que ce dernier propulse son entourage dans des limbes insoupçonnés. Et de cet équilibre, un ressort politique qui propulse la science, la religion et l’anthropomorphisme dans une guerre d’idées, certes sous-jacentes, mais passionnantes à intégrer dans un scénario qui parle de dévots tentaculaires et d’une nature qui trouble ses éléments. Si l’approche individuelle peut faire penser à l’œuvre de Julia DucournauThelma pourrait se rapprocher d’une autre œuvre maîtresse dans le conte fantastique et psychologique de son personnage, c’est-à-dire Take Shelter de Jeff Nichols.

Si celle de Joachim Trier est un pur régal d’équilibre, c’est aussi grâce au suspense constant qu’elle entretient avec son spectateur, autant sur le plan formel que temporel. Du début à la fin, Thelma et son observateur obscur sont liés main dans la main au cœur d’un imaginaire torturé par une forme de psycho-trance qui n’aboutit pas au diagnostic classique de l’épilepsie, mais à une maladie au nom barbare que la jeune femme hérite de sa grand-mère. Ainsi, le même équilibre du fantastique (l’héritage ici) fait secouer le métrage à travers des scènes idéalement conceptualisées pour provoquer le trouble et l’angoisse d’un être inconscient de sa jeunesse et de son héritage. C’est ainsi que les trois flash-backs qui nous font replonger dans l’enfance du personnage et encadrent le film sont prédominants : délivrer le mal dès le commencement, et susciter l’effroi de sa diffusion – à ce titre, le premier retour ouvre fabuleusement le film. La masse informe de son pouvoir figure à elle seule une trame dont le regain de tension est constant, jusqu’à provoquer souvent l’inconcevable, l’irrationnel. Tout est voué à disparaître, ou à demeurer patient.

Et pourtant, Thelma est une œuvre qui parle aussi d’une transformation en tant que femme assumée et capable de renverser les tendances – la métaphore de la piscine inversée, sublime. Mais contre toute idée racoleuse qui assujettit le fantastique à une vaste supercherie esthétique, Joachim Trier polarise ce véritable désir féminin à travers la vaste étendue psychologique, voire romantique, de son personnage. Puisque le réalisateur conçoit un personnage entêté par sa complexité, il peut évidemment se permettre d’étendre son champ de vision, mais tout cela de manière sobre et mouvementée : Thelma est plus politique qu’elle en a l’air, à l’image de cette œuvre descendante qu’est Oslo, 31 août et dont le minimalisme offrait de vrais moments de cinéma. Et finalement, Thelma pourrait être chacun de nous ; elle pourrait être cette estime de soi, et même nos pouvoirs cachés. Cela semble long parfois, mais pourtant vrai.

Quand le cinéma prend conscience de sa portée fantastique, il est évident que les champs des possibles s’offrent à nous de manière purement instantanée. Thelma fait partie de ces œuvres stimulantes pour leur compromis de mise en scène et cette part d’invisibilité qui le rend riche, évidemment. Cette héroïne, juste et fantastique, est aussi une raison politique et ambitieuse du portrait de femme en devenir – pour l’estime que l’on se fait de l’individu, et finalement du cinéma.