THREE BILLBOARDS – SEULE LA REVANCHE [CRITIQUE]

Porté par une Frances McDormand plus revancharde que jamais, le nouveau film de Martin McDonagh offre un dispositif ingénieux pour le film de revanche et dont la chronique de l’Amérique reste toutefois inachevée.

Tout est propice à la chronique pour Martin McDonagh. Qu’elle soit d’ordre social ou psychologique, elle se superpose souvent avec un cinéma qui se défie lui-même – une autre chronique, en somme. Et son nouveau film fait le constat non seulement d’une prise de conscience ébouriffante du film de vengeance, mais également d’une Amérique qui ne se parle plus et qui s’ignore, en proie à ses vices les plus renaissants. Ainsi se pose la personnage incarnée par Frances McDormand : son désir de revanche se traduit par sa capacité à faire resurgir les pulsions pour mieux altérer le quotidien d’une petite bourgade paumée au milieu du Missouri, dans le simple but de rendre justice à sa fille assassinée il y a quelques mois de cela. Quand le traumatisme de l’une rencontre la belle vie des autres, préparez-vous à ce qu’il y ait des dégâts – et c’est tant mieux.

Tout feu, tout flammes

A mi-chemin donc entre le film de vengeance et la comédie dramatique made in Twin Peaks – un meurtre (ici remis sur la table des agents de police) fait secouer les mœurs d’une ville dont l’existence jusqu’alors était paisible (ou pas) –, Les Panneaux de la Vengeance offre effectivement une chronique civile dont le pivot est son interprète principale. Avec sous le bras une furie nihiliste idéalisée par la carrure de son actrice, cette mère de famille se confronte à tout, et surtout à sa solitude : bouleversée par un souvenir malencontreux, divorcée, un fils absent et une empathie nulle. Du haut de ses trois panneaux, elle s’affirme comme un ennemi du déshonneur – thématique qui obsède les deux premiers films de McDonagh. Heureusement, cette carrure ne se racole pas à un féminisme primaire ; c’est par elle que les différents instruments du film se jaugent. La première chronique, évidemment, concerne ce personnage, parce qu’elle est la clé de voûte de celle-ci et d’un dispositif parsemé d’humour noir, d’éclats de mise en scène et de sujets sérieux.

Si les performances des acteurs donnent la sensation que ce dispositif marche effectivement à merveille (n’oublions pas Sam Rockwell en flic raciste ultra-sensible), c’est aussi parce que Martin McDonagh, avant tout, est un fabuleux fabriquant de personnages. Même s’il s’obstine à faire du tapage sentimental compte tenu de la destinée des différents protagonistes, il ne se contente que de les écrire et de les présenter au spectateur comme ils sont : c’est pragmatique. Seulement, la vraie question se pose : à quoi bon les faire évoluer s’il s’agit de faire la courte visite de cette petite ville d’Ebbing en compagnie d’une revancharde qui à réponse à tout ? Peut-être pour affirmer le désir d’une Amérique qui ne peut se reconquérir qu’à travers les sacrifices et les rédemptions des plus mauvais d’entre nous, ou parce que tout simplement il y a cette héroïne contemporaine qui caracole en tête dans la course à la sincérité existentielle. Dans ce combat d’idées, littéralement, se mêlent des thèmes ô combien sensibles, mais qui ne racontent pas grands choses à l’arrivée. Si McDonagh reste un très bon conteur d’histoires grâce à sa façon bien à lui de les présenter, sa pseudo-sociologie reste à désirer.

Et donc les ruptures de tons opérées par le réalisateur sont témoins d’une certaine inégalité – sans parler de cette victimisation permanente. Cela relève parfois du chantage affectif, ou à de l’humour mal dosé. Le film donne l’impression d’être trop pressé, épris sans doute par la pluralité de son dispositif. Il perd parfois en profondeur, jusqu’à inciter le scénario à fabriquer des arcs quelque peu douteux : la question du financement des panneaux, redondant à souhait. La seule altérité qui structure le film reste celle entre Frances McDormand et les autres : et c’est bien pour cette raison que cette scène d’agression menée par Sam Rockwell cristallise la chronique de McDonagh ; l’échec est palpable, le point de non-retour quasi-atteint, le film est à son zénith. Mais alors que Brendan Gleeson se donnait la mort dans Bons Baisers de Bruges pour résoudre les conflits intérieurs (le sien et celui de son ami de visite), la sociologie développée ici par McDonagh s’empare à bras le corps de la chronique revancharde : ce n’est plus une idée, mais un raccourci qui transpire la vanité.

Par ses nombreuses tentatives, Les Panneaux de la Vengeance étonne pour sa capacité à adoucir les gestes décomplexés du film de vengeance : il s’agit finalement de faire la chronique dense d’une revanche sous le format de panneaux publicitaires et d’une personnalité qui emmerde les autres. Si l’effet choral est parfaitement mené par Martin McDonagh, ses répercussions sur l’état de l’Amérique et plus dangereusement sur le récit ne procurent pas l’effet de moral voulu par le réalisateur, la faute à des bousculements bien trop hâtifs. La revanche n’est bien que solitaire…