A mille lieues du biopic classique, Vice s’affirme comme un objet complexe et passionnant. Drôle et révolté, Adam McKay pousse à une prise de conscience générale des vices qui nous gouvernent.
Le roi de la comédie US Adam McKay (la saga Anchorman, Step Brothers …) a bien trompé son monde lorsqu’il réalise The Big Short en 2015. A partir d’un sujet aussi délicat que celui de la crise des subprimes, il en sort un film intelligent et politique où rien n’est laissé au hasard. Vice pourrait donc être sa suite logique, car on y distingue la même ambition formelle et le même humanisme. Après le monde de la finance, place à la politique, nouveau terrain de jeu pour le cinéaste qui s’amuse à décortiquer les injustices du pouvoir et ses rouages sans jamais laisser de côté le spectateur. En racontant l’ascension de Dick Cheney (irrésistible Christian Bale, bien placé pour les oscars), vice-président de George W.Bush, c’est la chute d’un gouvernement et plus généralement d’un système qui est mise en avant. Une chute qui se fait encore attendre tant les faits relatés sont d’une modernité accablante.
Détourner et raconter
Dès la première image, le ton est donné. Quelques lignes pour expliquer qui est Dick Cheney , mais surtout pour dire que personne, ou presque, ne le connait réellement. McKay rassure alors : « Mais putain, on a bossé ». C’est l’homme mystère des États-Unis qui a traversé son histoire, de Nixon jusqu’à W. Bush, pour devenir l’un des personnages les plus influents au sommet de l’Etat. Estampillé de la formule « histoire vraie », le film parle de faits concrets sans jamais oublier qu’il ne sait pas tout. C’est en assumant son manque d’information que McKay donne à sa narration des bifurcations inattendues et originales. Là où il serait tenté de romancer l’action en imaginant ce qui est arrivé, il préfère arrêter l’image, faire intervenir la voix off qui commente tout le film et passer à ce qu’il sait réellement. Lorsque Dick Cheney discute avec sa femme Lynne ( Amy Adams) d’une possible candidature politique, personne ne sait à ce jour ce qui l’a motivé à se présenter. « On ne sait pas ce qu’ils ont bien pu se dire » commente la voix off. Le décalage permet alors de déceler une véritable honnêteté dans le travail narratif, celle qui manque cruellement dans le monde politique dépeint dans le film.
Cette originalité du récit permet au film de tout se permettre et de ne pas s’enfermer dans une suite de scènes classiques. Tout est bon pour informer rapidement sans jamais perdre la réalité des faits, jusqu’à faire intervenir un serveur qui, au lieu d’un steak ou d’une soupe, propose au menu : Guantanamo, la torture de prisonniers politiques ou autres… Ou comment, en une scène de restaurant, énumérer les horreurs commises grâce à Cheney et son équipe, hilares autour de la table. Fort et incisif.
McKay en roue libre
Le décalage donc, l’art de manier l’ironie et la satire est aussi un sens jouissif du visuel. Ce n’est pas tant dans les mots que le film impressionne mais dans sa manière d’agencer l’image, créant sans cesse des analogies, le tout avec une subtilité qui sert aussi bien l’humour que le désespoir. McKay utilise les moyens qu’il dénonce, il détourne, séduit et manipule dans le but de pousser à la réflexion et pour mieux prendre les personnages à leur propre jeu. Lorsque son montage devient frénétique c’est pour donner à voir la réalité, comme lorsque défilent les images de la guerre en Irak par exemple.
La fascination naît alors de cette capacité qu’a le réalisateur de transmettre le réel sans jamais tomber dans une facilité morbide mais en utilisant un procédé simpliste pour traiter les causes complexes. Ce procédé revient de nombreuses fois dans le film, son aspect répétitif est en écho avec l’Histoire et les mauvaises décisions qui se répètent encore et encore. Face à cela, le réalisateur est en retrait, en décalage, révolté et dépité, avec toujours un coup d’avance sur le spectateur comme en témoigne la scène post générique, hilarante car brillante. Face au constat désespéré, McKay esquisse sans cesse un sourire dont la traduction pourrait être : « mieux vaut en rire, c’est ridicule ». Pourtant, la gorge se noue. Tel est le paradoxe de l’époque, celle du film et actuelle, qui trouve ici sa plus belle illustration.