FUOCOAMMARE: AU CŒUR DE LAMPEDUSA [VISIONS DU RÉEL]

Projeté ce dimanche au festival Visions du réel, Fuocoammare nous plonge dans le quotidien des personnes vivant et arrivant sur l’île de Lampedusa, entre la vie et la mort.

C’est avec grand plaisir que nous avons pu découvrir Fuocoammare (Fire at Sea en anglais, La mer en feu en français), lors d’une projection spéciale à Visions du Réel. Le documentariste Gianfranco Rosi s’est immergé pendant plusieurs mois dans Lampedusa pour nous confronter à ce qu’il définit « comme la pire tragédie vécue dans le monde depuis l’Holocauste ». Lauréat de l’Ours d’Or 2016 à Berlin, Fuocoammare est un documentaire brut, raconté sans voix-off ni commentaire, on y suit à travers deux histoires: la vie des habitants, avec le quotidien d’un jeune garçon, Samuele et de sa famille, et en parallèle, l’arrivée de milliers de migrants qui arrivent en bateau dans des conditions catastrophiques.

Lampedusa, comme l’annonce le carton sur lequel s’ouvre le film, est une petite île de la mer Méditerranée située entre Malte et la Tunisie. En 20 ans, 400 mille migrants ont tenté de débarquer sur ses plages, et 15 mille ont trouvé la mort dans cette tentative. Le réalisateur Gianfranco Rosi, Lion d’Or à Venise avec Sacro GRA en 2013, s’est installé pendant plus d’un an sur l’île de Lampedusa pour le tournage de Fuocoammare, apprenant son histoire, sa culture et la manière dont vivent ses six mille habitants.

Le documentaire s’ouvre sur Samuele, 12 ans et fils de pêcheur. Il passe son temps à se balader dans l’île, chasse les oiseaux la nuit avec un ami et joue sans cesse à la guerre avec une arme imaginaire. On le voit au début se fabriquer un lance-pierre, avec un couteau et un morceau d’une branche de pin, comme si il n’y avait que ça qui comptait. Insouciant et inconscient de la situation, le jeune garçon ne se doute pas que quelque chose se joue autour de lui, à quelques pas seulement. Le lendemain, au loin dans l’obscurité bleue du petit matin, des antennes radar tournent sur elles-mêmes et captent une voix désespérée, perdue: « We are 250 people. In the name of God. Please, help us ».

Deux mondes qui ne se rencontreront quasiment jamais, bien que Lampedusa soit leur point de contact. Ces deux mondes partagent en revanche un même rapport à la mer qui les entoure, perçue comme fascinante et dangereuse.

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Fuocoammare adopte un rythme assez contemplatif, avec de longs plans fixes, mettant en parallèle la vie quotidienne de quelques rares habitants et le processus de sauvetage de navires de fortune, bondés. Parmi les quelques personnages qui y sont présentés, il y a l’animateur de radio locale, qui annonce les nouvelles quotidiennes, dresse le bilan des naufrages, et reçoit les requêtes des femmes restées au foyer qui désirent, par leur programmation musicale, réchauffer le coeur de leurs pêcheurs, qu’ils soient partis en mer ou non. Fuocoammare, qui donne son titre au film, est l’une de ces chansons, qui désigne ce moment où, les jours d’orage, la mer prend la couleur du sang, comme si elle était devenue de feu, et que les hommes sont alors condamnés à rester au port.

On y découvre ensuite, Pietro Bartolo, un médecin rencontré par le réalisateur lors de son arrivée sur l’île, qui partage avec nous ses souvenirs et son expérience. Il soigne depuis vingt ans les brûlures des migrants dues au carburant des bateaux, leur déshydratation, fait accoucher des femmes africaines à peine débarquées et bien souvent, est obligé d’enterrer leurs nourrissons. Il avoue dans un témoignage douloureux et criant de vérité: « Je déteste faire des autopsies. J’en ai fait beaucoup trop. J’en fait des cauchemars, mais c’est le devoir de chaque homme qui veut agir en tant que tel d’aider ces personnes. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas s’habituer aux cadavres. »

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Mis à part la vie des habitants de l’île, que le réalisateur n’a pas oublié, les scènes avec les migrants ne sont certes pas immersives, mais nous décrivent justement la situation tout en étant poignantes: appels désespérés par radio, sauvetage en mer, accueil des migrants, fouilles et prises de photographies, partie de football improvisée entre migrants de diverses nations. Mais la scène la plus puissante et la plus désespérée, est celle du slam d’un migrant qui évoque son odyssée à partir de la nécessaire fuite du Nigéria. On y apprend la fuite dans le désert, les emprisonnements barbares en Lybie et surtout les viols des femmes, les morts atroces, les actes barbares de l’État Islamique et le désespoir de ses proches. S’ils fuient, s’ils viennent « chez nous », ce n’est pour nulle autre raison que pour une question de vie ou de mort. Son chant fait de lui la voix de ceux qui ne peuvent plus parler.

En conclusion, Gianfranco Rosi crée une opposition forte entre l’innocence des enfants qui jouent à la guerre alors que d’autres tentent de fuir celle-ci, on peut y voir là-dedans une certaine illustration de la situation actuelle. On reprochera cependant à Fuocoammare quelques longueurs et on aurait voulu y voir quelques portraits de migrants et pourquoi pas des interactions avec les locaux. Cependant, le documentaire traite de ce sujet nécessaire et délicat avec profondeur et justesse. À la fois intelligent et poétique, on alterne humour et terrible réalité, dans des scènes remplies de sens, de symboles et de signification.

Fuocoammare sortira dans les salles le 28 septembre prochain.

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