WONDER WHEEL – MÉLI-MÉLODRAME [CRITIQUE]

Dans l’île joviale et attractive de Coney Island, personne n’entendra votre chagrin d’amour. Telle est l’accroche du nouveau film de Woody Allen: prévisible à souhait et dont la composition formelle laisse à désirer. 

Les derniers films de Woody Allen ont cette relation avec le romantisme selon laquelle il est voué à sa disparition, ou à sa sauvegarde désespérée (le fascinant Blue Jasmine). Fini de rire pour le réalisateur, il est temps de noircir le tableau. Dans ce cas de figure, Wonder Wheel se présente comme un nouvel exemple prometteur compte tenu, d’abord, de la composition de son casting : l’égérie de Titanic (Kate Winslet) qui trompe son mari avec l’un des playboys incontestés de la culture pop (Justin Timberlake). De quoi déchaîner les passions à l’aube du quarantenaire qui terrifie le personnage de Winslet, d’autant plus qu’il est question également de règlements de compte mafieux contre une autre infidèle – décidément – toute jeune (Juno Temple). Bien malin sera celui qui devinera que Coney Island, sous ses airs de plage paradisiaque teintée par les néons des attractions qui la surplombe, n’est pas l’endroit rêvé pour faire briller de mille feux le romantisme. Ne vous inquiétez pas, l’ironie du film est raccord avec la nôtre : prévisible, et sans intérêt.

Tourner en rond…

Au fond, si Woody Allen n’avait pas ce réflexe étonnamment compulsif d’esthétiser autrement les mêmes décors pendant plus d’une heure et demie, tandis que Kate Winslet éprouve un malin plaisir de cracher son venin sur tout ce qui bouge soit disant parce qu’il y un manque d’amour dans ce monde – sa migraine devient la nôtre –, peut-être que Wonder Wheel ressemblerait à un mélodrame qui s’inquiète des exigences des personnages plutôt que de leur faculté de juger. On s’insulte, on secoue la tête (James Belushi, insupportable), on brûle tout (l’enfant perturbé, une sottise d’écriture)… Qu’est-ce qui ne rime à rien dans ce film ? A peu près tout. La possibilité de fonctionner comme un huis clos esquisse la mise en scène avec un réflexe presque contagieux compte tenu de cette volonté d’en faire des tonnes : impressionner, toujours – jamais. Difficile de s’ouvrir à un film qui se regarde en permanence : couché de soleil interminable, monologues à rallonge, plans-séquences…

De cette imagerie colorisée trempée dans la noirceur de ses personnages (et leur destinée), Wonder Wheel s’assume certainement là où il ne l’attendait pas. Peut-être, déjà, dans sa faculté de parler de son auteur. C’est quelque peu un film sur Woody Allen : l’auteur-romantique qui se jauge à travers des récits d’amour ténébreux, la rigueur de sa récente filmographie, l’enjeu de la famille… Le réalisateur mise carte sur table à ses risques et périls, notamment dans ses tentatives bien trop vaines de la mise en abîme et de cette histoire de mafieux dont les conclusions se lisent à des kilomètres. Le meilleur exemple reste finalement l’exil de Kate Winslet dans les plans : très peu d’empathie de la part de Woody Allen, qui rigole un peu dans son coin, sentant que ses démarches, comme celles de son personnage principal, sont vouées à une constante vanité. Et puis son rapport à l’époque le titille davantage, comme s’il pouvait ne pas s’en détacher (comme dans Café Society). Le rapport au décor, plus qu’à la photographie (…), a toujours plus importé à Woody Allen. La grande roue ? Une incrustation.

Comme une grande roue, Wonder Wheel tourne en rond à cause d’on ne sait quelle consistance formelle. S’il est agréable de voir un film en cohérence avec la filmographie récente de son auteur, celle-ci aboutit ici à une sorte de déploiement créatif parfois nouveau, mais pourvu de vide et au nom d’une certaine idée de l’insupportable. Il n’est plus question finalement de se répéter ou de se renouveler, mais à tout prix de faire preuve d’efficacité.