Les talents de metteur en scène de Sam Mendes ne se limitent pas aux théâtres londoniens. Avec 1917, il propose une expérience immersive qui semble revendiquer en permanence son statut de grand film épique.
1917 est un acte de cinéma fort : pas tout à fait un plan séquence – Sebastian Schipper reste le seul à s’y être véritablement risqué ses dernières années avec son génial Victoria – mais une suite de longs plans remarquablement orchestrés. En termes de montage, 1917 se rapproche de Birdman (Alejandro González Iñárritu, 2015). Les raccords y sont cela dit mieux exécutés : on est bien obligé de constater que les personnages de 1917 ouvrent beaucoup moins de portes que ceux de Birdman, tout de même. La photographie est un morceau de bravoure de Roger Deakins, dont le génie n’est plus à prouver (cf. Blade Runner 2049).
Filmer le mouvement dans une guerre de position
1917 présente une quête insensée : traverser 14,5km de front pour sauver 1600 hommes. Georges MacKay et ses yeux bleu acier nous rappellent toute l’absurdité du conflit ; il ne s’agit même plus de survivre mais juste d’accomplir une mission. Un seul regret que l’on peut finalement trouver dans son intention de départ : 1917 est si bien exécuté que l’accidentel ne semble plus y avoir sa place. Le film se déroule avec tant de fluidité qu’après la traversée du no man’s land en ouverture, les séquences les plus marquantes sont finalement celles où la caméra cesse de se mouvoir et se focalise sur ses personnages. Dans une ferme abandonnée, dans une cave, l’émotion survient sans que l’on ne s’y attende.
Quand l’immersion se consomme elle-même
Le brio de Sam Mendes est pourtant à l’origine d’un paradoxe : le film atteint un tel degré d’immersion que le spectateur finit par en être éjecté. Comme si 1917, trop éclatant, rappelait à chaque instant son statut de film. La technique y est omniprésente, jamais visible mais toujours discernable. La caméra de Sam Mendes valse autour de ses personnages et se rappelle toujours au spectateur, d’une façon ou d’une autre : en prenant un virage lyrique ou en passant au dessus d’un lac que les personnages doivent contourner. Le spectateur traverse le film à la première personne, presque à la façon d’un jeu vidéo en FPS [first person shooting, ndlr]. Les « niveaux » s’enchaînent (le no man’s land, la ferme, la ville, etc.), il les expérimente avec les personnages, à leur hauteur ; l’intégralité du film tend vers l’heure du début de la bataille le lendemain matin, mais ne dit pas grand chose en termes de morale.
On ne peut s’empêcher de penser aux Sentiers de la gloire (Stanley Kubrick, 1957) où le contenu était bien plus dense …. Et où un unique travelling suffisait à donner plus d’empathie envers les personnages. Sam Mendes filme la perte d’une certaine innocence : 1917 dit qu’être témoin d‘une guerre totale c’est mourir même en y ayant échappé. Il ne dit pas grand chose d’autre.
Augustin Pietron (Oggy)