Rien de plus excitant qu’un film animation pour adultes qui casse les codes. Seder-masochism appartient carrément à cette famille en nous offrant un pamphlet puissance 1000 contre le « fanatisme » religieux. Hilarant et horrible.
Au cours de cette compétition, seul La Casa Lobo donnait l’impression de casser les codes de l’animation grâce à un point de vue certes autocentré mais propice à une immersion totale : donner l’illusion, si peu exploitée dans le cinéma d’animation artisanal, du plan-séquence. Il n’est plus seul désormais, car Seder-masochism se regarde comme lorsqu’on lit un pamphlet: certes impertinent et décalé de la réalité, mais complètement habité par cette idée, disons-le vulgairement, de tout casser et de brusquer ses spectateurs. Parodie de l’Exode et tract insolemment anti-religion à mi-chemin entre l’absurde des Monty Python – bien que le film est réalisée par une Américaine, Nina Paley – et le cartoon network du dimanche matin, Seder-masochism fonce tête baissée dans la provocation et l’arrogance sans jamais perdre de vue sa cible principale : le fanatisme religieux et sa dimension patriarcale. C’est donc un véritable ovni qui s’est empressé de renverser l’humeur générale de la compétition et ses codes contemporains jusqu’ici représentés par des réutilisations plus ou moins recommandables des réalités concrètes de notre monde.
Rite et critique
Un Dieu dont la forme est tirée d’un billet de un dollar, un Moïse punk qui adore se déhancher sur de la pop anglaise, des images d’archives tirées des lapidations de Daesh dans les cités antiques ou de l’attentat du 11 septembre, le peuple hébreux qui, une fois arrivé en Terre Promise, chante à haute voix le « I Will Survive » de Gloria Gaynor… Seder-masochism va bien au-delà de la simple réécriture de l’épisode si connu de l’Ancien Testament ou de la critique religieuse, c’est une forme de réutilisation gargantuesque dont le seul but est de créer le rire de trop et l’effet de longueur capable d’irriter la création elle-même. Même la voix de Dieu est en faux raccord avec son apparence et l’ambiance survoltée du film : désabusé par les guéguerres et les états d’âme des hommes, son attitude est nonchalante, irrespectueuse, décalée. La brebis (oui, oui) qui l’écoute – et qui rit, comme nous, de ses déclarations toutes plus fumeuses les unes que les autres – n’en tire que le minimum, comme si son action était vouée au Néant, ou à l’incompréhensible, au choix.
La démarche du film étant de contrer et prendre à revers tout ce qu’il y a d’ultra-religieux dans les œuvres et événements de l’Histoire bien essentiellement du judaïsme, il y a pourtant cette envie de reprendre quelques codes symboliques de ces histoires : les invocations de Dieu ou les dix plaies d’Egypte retranscrites ici comme lorsqu’on passe d’un clip à un autre sous le forme d’une playlist. Cette gigantesque alchimie regroupant humour noir, caricatures glauques, montage informe et déformations graphiques arrive paradoxalement à dégager une emprunte de sérieux qui parvient à pousser la dimension critique encore plus loin que le rire environnant. Aussi étonnant que celui puisse paraître, Seder-madochism se prend au sérieux, croyant de toute part que son humour a le droit d’être aussi majuscule que la première lettre du nom qui lui sert de pivot – Dieu, donc. Et c’est là que le parti-pris trouve son second souffle : l’œuvre réfléchit constamment sa façon d’amorcer les chocs, jusqu’à faire des rapprochements ultra-sensibles, comme assembler une guerre de religion avec la naissance du peuple élu. Une réflexion artistique au profit d’une avarice historique. Jubilatoire.
En enfonçant le clou sans même se préoccuper jusqu’où celui-ci peut aller, Seder-masochism est une pépite animée qui tire à profit son traitement impertinent, telle une régalade, sur l’ultra-religieux. Et ça tombe bien, car le film est si extrême que nos réactions le sont également. Reste à savoir si un tel parti-pris, bien que sélectionné pour cette compétition, parviendra à rentrer dans la liste de quatre noms qu’affichera le palmarès.