FALLEN KINGDOM – DE L’ÎLE AU FOSSILE [CRITIQUE]

Trois ans après un premier opus spectaculaire quoique décérébré, Fallen Kingdom remet le couvert  sans le moindre recul. Et avec Juan Antonio Bayona à la réalisation, nous sommes en mesure d’être déçus… 

Comme son égérie dino-monstrueuse du nom d’Indominus Rex, Jurassic World était le résultat d’une combinaison de spectacles bourrés d’effets spéciaux (très) assumés et de réflexions, instaurées par Steven Spielberg, gravitant autour du rapport entre l’homme et la nature avec un regain de capitalisme – sans la rigueur et la profondeur du pionnier, bien sûr. Le film nous menant donc à cette conclusion : l’abus a parfois ses limites (mais pas au box-office). Généreux, nouveau même, mais vain. Heureux hasard ou magnifique coïncidence, c’est Juan Antonio Bayona, lui l’apprenti-spielbergien au combien estimable s’aventurant dans le film d’horreur (L’Orphelinat) et le fantastique (Quelques minutes après minuit), qui prend les rênes de la saga pour Fallen Kingdom. Seulement, entre un apprenti et un promoteur/assureur d’une franchise basée désormais sur le renouveau, il y a une grande différence. Problème encore plus vaste quand on constate ici que Bayona cherche à porter les deux casquettes tout en se transformant en activiste du dimanche pour des raisons que seule la place de Fallen Kingdom dans la saga nous aidera à comprendre, tant son échec est aussi immense qu’édifiant. Ici n’est pas le produit d’un « devenu yes man » ou l’heure de se dire « Bayona mais pourquoi t’as fait ça ? », mais la preuve d’un metteur en scène en phase avec ses pures limites de mise en scène.

Bayona degré zéro

Dans le genre du fantasme cinématographique, déjà, il n’y a pas mieux (ou pire) que Jurassic Park – ou World, on en sait plus trop. L’avion qui survole cette île toute verte, ces humains regroupés, telle une famille que l’on cherche à réassembler, naïfs et désespérés se faisant dévorés par un T-Rex qui lui-même est devenu le doudou, l’icône et le pivot de tous les épisodes réalisés jusqu’à ce Fallen Kingdom. Bayona respecte bien ce fantasme devenu avec le temps le pivot d’un renouveau quasi-sériel et, au grand damne de son potentiel pour fabriquer de belles images (et il y en a dans Fallen Kingdom), un cahier des charges trop sollicité par un spectaculaire faisant défaut à toute la réflexivité de la saga. Un paradoxe que le réalisateur aura beau nous contredire avec des images marquantes et parfois poétiques, il en demeure pas moins que leurs impacts restent moindre et participent à cette démarche complètement décérébrée qui arpentait déjà la soi-disante innovation de l’opus précédent. Et c’est là qu’on peut difficilement rapprocher Bayona d’un J.J. Abrams ou d’un Matt Reeves, tous deux également enchaînés par une franchise et pour chacun  doté d’une patte très influencée : Spielberg pour le premier, Hitchcock/Coppola pour le second. Quand eux parviennent à s’agripper à des motifs très forts de leur saga – l’éternel recommencement par exemple, pour parvenir à des fins purement émotionnelles –, Bayona exploite d’infimes parties de son œuvre et peine à lui donner de l’aura.

Ce n’est pas faute d’essayer, pourtant. Le meilleur exemple reste le traitement de la cause animale, louable sur le papier, mais incarnée ici par des personnages d’une naïveté absolument décomplexée, filmés comme dans un parc d’attraction (ouai ouai, le parc migre sur le sol civilisé), et un pathos de l’éternel symbolisé par une fin claquée et calquée sur une esthétique à la Nolan complètement repoussante (même si le dernier plan fera jouir les plus addicts du cinéma de Spielberg). Le storytelling de Fallen Kingdom s’équivaut à de petits moments très brefs, fiers et vaniteux dans une seule et même scène, ce qui rend le film complètement disloqué par la volonté de trop en proposer, irritant par ailleurs la sensation de visionnage. Jonchée de scènes trop suggérées pour s’en prendre plein la vue, perdue dans un scénario d’un laxisme déconcertant quand bien même elle se paraît ultra-consentante avec celui-ci, la réalisation de Bayona relève à la fois de l’impersonnel et d’une simple faiblesse de style. Les rugissements du T-Rex, ces regards dinosaures/humains agissant comme des dialogues et le compromis de l’enfance – principale et seul intérêt (redondant donc) du cinéaste dans sa carrière – qui arpente la seconde partie du film ne sont que des éléments de surface à l’image de la saga sans la dépasser en tant qu’œuvre.

Bien qu’il n’y ait aucune image pour poursuivre l’autre, il faut constater que Fallen Kingdom réussit à redessiner une phase nouvelle de la saga, mais décevante sur la façon dont elle est agencé. Cette suite fait bien aboutir la fin d’un règne ô combien capitaliste et celui, plus symbolique et inconscient, de l’homme sur la nature. Sur Isla Sorna comme sur Terre, tout est bousculé. Seulement, Bayona n’y croit pas trop, et nous non plus. Les fractures ont bien lieu, mais elles sont chuchotées à l’oreille d’un T-Rex dormeur.