Entre Le Grand Jeu et Les Heures sombres, le choix du biopic de début d’année est vite fait et se porte sur les premières heures de Winston Churchill à la tête du gouvernement britannique (et on vous explique pourquoi).
Rien de tel qu’un genre qui ne se renouvelle que trop peu pour commencer l’année. Et avec Molly’s Game et Darkest Hour, ce début d’année 2018 n’apportera pas les réponses nécessaires à une forme de progressisme dans le biopic – contrairement à 2017 qui, dès février, nous avait offert l’exceptionnel Jackie de Pablo Larrain. Alors que la première tentative d’Aaron Sorkin se résume à une lecture bien trop longue d’une histoire que le cinéma hollywoodien nous radote trop souvent, la proposition de Joe Wright reste cantonner dans une idée académique mais pas moins morale du genre. Restituant les premiers jours de Winston Churchill à la tête d’un gouvernement britannique qui s’enfonce dans la crise politique et militaire, tout cela sous l’ombre planante de l’invasion nazie, l’œuvre dépeint un contexte que l’on connaît et un personnage qui, au cinéma, n’a jamais véritablement su faire trembler les foules autant que les mots qu’il employait lors de ses discours. Et à ce titre, Darkest Hour ressemble par endroits à son personnage principal: inégal, orgueilleux, mais doté d’une grande précision sur la recherche d’une union nationale.
Un pour tous, tous pour un
Doté d’un sens assez contemporain pour l’isolation de la politique dans un contexte on ne peut plus tendu que celui de la guerre (il est parfois question de conspiration), le film traverse les étapes sur un temps chronométré et dont les premières images fixent très rapidement quelles sont les relations qui font l’attitude de Churchill dans cette infime partie de sa vie – Darkest Hour ne se préoccupent que de sa prise de pouvoir jusqu’à l’évacuation des troupes britanniques retranchées sur Dunkerque.Et très loin justement de l’américanisme d’un Christopher Nolan épris par son délire d’immersion, Joe Wright personnalise ce qui, encore aujourd’hui, nous permet d’identifier Churchill : sa passion des mots à travers sa secrétaire, sa furie politique face à un Chamberlain démodé et enfin une ouverture lunatique vers les autres qui se traduit par l’adaptation – pas toujours honnêtement mise en scène par le cinéaste – de sa femme. A croire que l’union, et le courage indéfectible de la fabriquer, est partout.
Finalement, le film ne fait pas le choix de la transfiguration. Ce pragmatisme de mise en scène qui s’exprime à travers le cloisonnement du scénario et des personnages du second plan favorise l’immersion. Joe Wright a toujours été un cinéaste rigoureux dans l’adaptation (Orgueil et Préjugés), et le portrait pragmatique qu’il dessine ici se mélange avec l’interprétation de Gary Oldman : jamais dans la recherche de la statuette qui conférerait au film une certaine renommée académique qui, comme dit plus haut, lasserait au plus point, l’acteur pétille dans les moments les plus inattendus. Les scènes les plus mémorables restant ce coup de téléphone au président américain dans les toilettes du bunker britannique et ce long silence qui greffe le regard de l’acteur avec Lily James (aperçue dans Baby Driver). Si la mise en scène ressemble à son personnage, c’est aussi parce que l’interprète principal enchaîne les scènes avec une prestance qui met en confiance son metteur en scène : d’un certain point de vue, on pense à la carrure, contraire pourtant, de Daniel Day-Lewis dans la peau d’Abraham Lincoln chez Spielberg (la dimension funéraire en moins).
Ainsi, s’il préfère ne pas s’interroger sur un genre qui, lorsque celui-ci s’y attelle, peut produire de l’or en termes d’iconographie, The Darkest Hour constitue avec rigueur et dans un temps minimal l’une des plus grandes histoires que l’Europe a rencontré dans son existence récente : celle d’un peuple uni dans la bataille et d’un homme qui, par les obstacles qu’il a rencontrés, s’est bâti sur la même forme de courage. Et si finalement le biopic devait être aussi digne que ce stade d’égalité qui lit un leader et ses suiveurs (le film et ses spectateurs) ?